Marie de Médicis entrant dans Amsterdam, ou, histoire de la réception faicte à la Reyne-Mère du Roy très-Chrestien, par les bourgmaistres et bourgeoisie de la ville Amsterdam, traduicte du Latin de Gaspar Barlaeus. Amsterdam, chez Jean et Corneille Blaeu, 1638. |
MARIE[Vignet: Stadswapen van Amsterdam]A AMSTERDAM, |
AUX |
Ce que Dieu est au ciel, les Princes le sont en la terre. Dieu ne porte limage daucun, pource quil na son estre daucun. Ceux cy sont limage de Dieu, pource quils tiennent leur puissance de luy, Dieu nobeit à personne, pource quil nest inferieur à personne. Les Princes obeyissent à Dieu, pource quil ny a que luy seul auquel ils soyent in- [fol. A3v, p. 6] ferieurs. La puissance de Dieu nest bornée daucunes limites, pource quelle est divine. Celle des Princes, qui sont hommes, est enclose dans certaines bornes, quils ne doivent point outrepasser. Dieu nest assujetti à aucunes loix, pource que cest à luy seul den donner aux autres. Ceux-cy sont obligez aux loix quils ont receu de Dieu, & de la droite raison. Toutes choses sont gouvernées par la volonté, & puissance de Dieu, mesmes les Rois, les Reynes, & les Princes. Mais il ny a que leurs subjets qui dependent de la puissance de ceux-cy. Dieu na personne quil honore & quil serve, pource quil ne doit rien à personne. Les Princes servent, & honorent un seul Dieu, duquel ils tiennent leurs Principautés & tout ce quils ont. Les peuples portent honneur à leurs Princes: Mais tant les Princes que les peuples à Dieu. Le service qui est deu à Dieu procede de la religion, dont le propre est de lier estroitement lame à son Createur. Celuy quon rend aux Rois & aux Princes, est fondé en la pieté envers eux, qui est un peu inferieure à celle qui saddresse à Dieu. Il y a plusieurs choses excel- [fol. A4r, p. 7] lentes au monde, qui ravissent en admiration par leur grandeur, sublimité & splendeur. Le Soleil, Prince des Astres, reluit au ciel, & attire à soi les yeux des humains, attendans de luy des saisons fertiles. La Lune à aussi y reluit, & toute ceste belle armée des estoiles. Ces corps celestes sont admirables, & presque venerables, à cause de leur lumiere, mouvement & secrettes influences. Mais ce monde inferieur n a rien de plus grand, ny plus relevé, ny plus illustre que les Princes. Le Soleil nesclaire pas pour soy mesme, mais pour nous. Il se meut, afin davancer par son mouvement les commoditez des hommes. De mesme, les Princes ne vivent pas pour eux mesmes, mais pour leurs subjets, qui jouyssent & font esclairez de leur lumiere. Ils ne sattribuent que le nom de Majesté, dont ils veulent que le fruict & lusage revienne à ceux quils commandent. Pourtant comme nous aimons & honorons Dieu , ainsi, quoy que dune affection inesgale, faisons nous les Princes. Cela est deu à Dieu, comme au principe & à la source de tout bien. Et aux Princes, comme aux curateurs & administra- [fol. A4v, p. 8] teurs de si grands biens, & qui tiennent le second rang apres Dieu. Car on ne peut approcher plus pres de Dieu quen maintenant les hommes sous sa protection. Cest une chose royale destre eslevé par dessus les autres, mais encor plus, de leur apporter du profit & les conserver. Leur premiere vertu est de pourvoir au bien de leur patrie & de leurs alliez, & de donner la paix & tranquillité au monde. Le sentiment de ces choses est si profondement engravé es coeurs des humains, que toutes les fois quils ont cest heur de pouvoir contempler lauguste & majestueuse face de leurs Princes, ils pensent voir quelque Divinité sur la terre, & ne sont pas moins recreez de ceste rencontre, quon le seroit du lever & rayons de quelque Astre resplendissant. Ils desirent ardemment de regarder ceux dont ils sont benignement regardez. Ils se donnent entierement à ceux, qui tiennent que leurs subjets ne leur sont point esté donnez pour esclaves, mais pour en avoir le soin comme de leurs enfans: & ne veulent pas seulement que lEstat leur serve, mais qui eux mesmes se voüent au service de [fol. B1r, p. 9] lEstat. Ils embrassent avec veneration les gouverneurs de cest Univers, dont ils font une partie, & regardent avec estonnement les ruisseaux de la puissance divine qui sont respandus en leurs Princes. Donnez moy un Roy, ou si vous aimez mieux, une Reyne; combien quelle commande aux Indiens, ou aux Mores, ou aux Sabeens, ou aux Scythes, soit quelle soit courageuse & magnanime comme Semiramis, ou belliqueuse comme Tomyris, ou prudente & entendue à gouverner comme Tanaquil, ou amatrice de paix comme Placidia, nous serons tous excitez & esmeus au regard de ceste Majesté royale, & la reverence que nous luy porterons tirera de nous des volontaires offices dhonneur & de congratulation. Il nest point besoin que je men aille fort loin pour chercher* des exemple de cecy: Nagueres est arrivée en vostre Ville la tres-Auguste Reyne MARIE DE MEDICIS, issue dune tresillustre famille, qua a eu lhonneur destre conjointe par mariage avec le plus grand Roy de la Chrestienté, & dont les enfans possedent aujourdhuy les plus beaux Royaumes & Prin- [fol. B1v, p. 10] cipautez du monde. Vous lavez receuë avec tout lhonneur & reverence possible, non seulement au nom de vostre Republique, mais aussi dune affection particuliere. Vos bourgeois y sont accourus de toutes parts comme au lever de quelque nouvel Astre. Le reste du peuple sy est porté avec une mesme affection, une mesme ardeur & allegresse. Vous avez monstré par là que vous aussi avez en reverence ces noms Augustes de Rois & de Reynes, & que vous cherissez ceux auquels Dieu, quoy que jaloux de son honneur, donne le nom de Dieux. Vous navez omis aucune sorte de devoirs, que lestat present de vostre ville, ou lopportunité du lieu & du temps, ait permis que vous luy rendissez. Vous avez fait honneur à une Princesse que vous recognoissez vous mesmes en avoir plus merité: de sorte que ceste reception ne tient pas lieu dacquit, mais sert de recognoissance des obligations que vous luy avez. Ie ne feray poin mention des publiques. Celles qui vous touchent particulierement viennent de ses ancestres, lesquels ont ottroyé à vostre Vile des privileges & immunitez, qui [fol. B2r, p. 11] ont grandement contribué à son accroissement. Tout ceux qui ont veu la magnificence de ceste Entrée savent avec quelle joye & allegresse vous vous y estes portez, estans allez au devant de ceste Grande Reyne, non seulement à lentrée de la ville, mais aussi bien loin hors des portes, luy ayans dressé çà & là des Arcs triomphaux, celebré des jeux à son honneur, & assemblé toute la gendarmerie de la Ville. Maintenant, par vostre liberalité & munificence, les absens, qui nont pas eu lheur de voir ces spectacles, sont admis à leur contemplation. Ceste Reyne, qui est entrée en vostre Ville, les vient maintenant voir, & est aussi regardée & saluée ailleurs, par le moyen de cest escrit, & des tailles douces qui lembellissent. Icy sont representez à leurs yeux les eschaffauts, les theatres, les flottes, la cavalerie, les compagnies des bourgeois, & les jeux, & tous ceux qui veulent, ont le contentement de les y regarder, comme sils y assistoyent eux mesmes. Il ne se peut faire que la lecture de ces choses soit desagreable, dont la veuë a esté si plaisante & recreative. Le discours [fol. B2v, p. 12] fait que cela demeure plus long temps engravé en la memoire qui nestant point escrit demeureroit bien tost enseveli dans un eternel oubly. Ioint que plusieurs choses que chacun na pas eu la commodité de voir, estans maintenant recueillies en un, se laissent contempler de tous. Les argumens des Spectacles & des Emblemes, que peu de gens ont peu comprendre à cause des soudains changements des theatres, sont icy expliqués au lecteur hors de la foule & du bruit, & avec une telle briefveté que cependant rien de grand ou digne destre seu ny est obmis. Ceust esté une chose superflue de sarrester à ce qui est de moindre importance, qui a esté fait par diverses personnes, en divers lieux & moins publiquement. Une trop curieuse diligence est un abus de la diligence, tout cela estant retranché de la chose principale, qui est employé en des narrez moins serieux & son necessaires. Tout cest appareil, MESSIEURS, retourné à vous, pource quil est vostre. Ce dont vous estes auteurs est dedié à vostre nom. Tous ceux qui liront cest escrit, y recognoistront les monumens de [fol. B3r, p. 13] vostre magnificence, courtoisie, & bienveuillance a lendroit de ceste tres-grande Princesse. Ils diront que ceux-la sont dignes de commander, qui lors quil importe à lhonneur du public, savent se monstrer magnifiques: la bassesse & chicheté estant mal seante à ceux qui tiennent le gouvernail dun puissant Estat. Ie ren le dernier un tesmoignage en ce brief discours, de ce que la Reyne & son illustre suite, avec tout le peuple dAmsterdam croyent unanimement, esperant que la grace qui luy manque, sera suppleée par vostre facilité & protection. Recevez de bon coeur, ce que vous avez fait de meilleur à lendroit de la grande DE MEDICIS. Que mon effort & affection vous plaise, à vous qui avez eu lheur dagreer à une mere de Rois. Ceux qui gravent sur le cuivre les images des Rois & des Princes, sils ne peuvent par leur propre industrie meriter la bienveuillance dautrui, lobtiennent par la grandeur de ceux quils ont representez. Ainsi parlant dune Reyne, mere de Rois & petite fille dEmpereurs, on excusera mon discours sil rampe par terre, [fol. B3v, p. 14]
& ne sesleve point au faiste dune si sublime Majesté. Vous le verrez, lors que les affaires de la Republique vous en donneront le loisir. Ce que toutesfois je ne presse pas beaucoup, mais bien cecy, que tel que je me suis cy devant monstré envers vous & vostre Ville, vous croyez que je persevererai destre tandis que lame me battra dans le corps. Ainsi Dieu vous face prosperer à tousjours & vostre tresfleurissante Ville, suivant les voeux de celuy qui est MESSIEURS, Vostre treshumble & tresaffectionne serviteur GASPAR BARLEUS.
Thetis luy a donné dans le sein de son onde, Des gendres commandans jusques au bout du monde. Et ceste ville, Nayant eu au commencement, Quun tres-petit commandement, En un petit coin de la terre, Embrasse maintenant & serre, Ce que Phebus void au Levant, Et ce quil regarde au Couchant. La Reyne, Se resjouit de voir que tant de Princes, Pleins de sante, Rois de grandes Provinces, Soyent ses enfants. Et quant à ceste Ville, Nous lui sommes tenus, de ce que ses loix sainctes, Permettent aux mortels De venir habiter dans ses larges enceintes, Y dresser leurs autels: Quun chacun peut changer de demeure & de terre, Et revoir, quand il veut, Les lieux plus reculés dedans lautre hemisphere Ou le Soleil se meut: Que lon peut maintenant penetrer en la plage, Que lantiquité croit [fol. C1v, p. 18] Estre inaccessible, & aller au rivage Ou lOronte se boit: Et que tous les humains qui vivent sur la terre, Quoy quesloignez de lieux, Ne sont plus qu un sul peuple, &c. Il semblera que je nay pas gardé les loix de la bienseance, en faisant comparaison de ceste Reyne & de nostre Ville. Mais il conste assez que la grandeur de ceste Princesse consiste en la grandeur & estendue de son Empire, en la splendeur de son sang & de ses ancestres, & en ses heroiques vertus; & de ceste Ville, au trafiq & au bonheur particulier de ses habitans. On pourroit revoquer en doute cecy, asçavoir mon si la courtoisie dune Reyne eslevée en un tel faiste de grandeur est plus digne dadmiration, ou bien laffection de ceste Ville envers elle. La Republique dAmsterdam à creu estre de son devoir de faire honneur à larriere petite fille de lEmpereur Maximilian, duquel elle a autresfois obtenu le droict, de porter une Couronne Imperiale sur les armes: & pourtant sest monstrée plus splendide, en ce que les autres villes ont fait avec une pareille affection & allegresse. Son Magnifique Senat sest ressouvenu de la coustume observée de tout temps, que les Rois & Princes sont receus en leurs villes, ou en celles de leurs alliez, avec un solennel appareil. Tant les Grecs que les Romains lont pratiqué, ordonnans des triomphes, trophées, statues & autres tesmoignages dhonneur public, à ceux qui avoyent bien servi la Republique & lEstat. Et combien quil nait point fait ces magnificences au Prince du pays & de la Ville, toutesfois il sest creu obligé de gratifier à la [fol. C2r, p. 19] dignité dune Princesse, qui tire son extraction des anciens & plus louables Princes de ces Provinces. A quoy doit estre adjousté, que nous jouyssons du bon heur de la perpetuelle bienveuillance, du tres-puissant Roy de France & de Navarre, LOUYS le Iuste, defenseur de nostre Estat, entretenant lalliance autresfois contractée avec le feu Roy HENRY le Grand son pere de tres-glorieuse memoire, de lun desquels Elle a eu lhonneur destre Femme, & de lautre, Mere. Et ne sest peu presenter une meilleure & plus commode oportunité de tesmoigner nostre recognoissance que si les villes de Hollande semployoyent comme à lenvy, à honorer celle qui autresfois a comblé tout cest Estat de tresgrands bien faits. Les pompes triomphales sont le prix de la vertu & de la Grandeur. Pour lune & lautre raison, les Seigneurs dAmsterdam ont trouvé à propos de desployer leur magnificence. Les despenses que faisoyent les anciens Romains en leur particulier, estoyent petites & chetifves, mais en public tres-magnifiques. Là ils vouloyent que lespargne eust lieu, mais icy faire paroistre la Majesté de leur Estat. On ne doit pas diffamer du nom de Luxe les despenses par lesquelles est maintenue la Majesté & reputation de lEmpire. Car cela nest pas prodigué que la Republique employe à de tres-bonnes fins. Et ne faut pas sestonner si les villes qui surpassent leurs voisines en grandeur & pouvoir, sefforcent de faire quelque chose de plus grand que les autres. [La Sortie de la Reyne du Brabant.] Apres cela la REYNE MERE eust pris la resolution de quitter le Brabant, & autres Provinces subjettes au Roy dEspagne, où Elle avoit passé plusieurs an- [fol. C2v, p. 20] nées, & entrer sur les terres des Estats Unis, [Elle est reçuë par le Prince dOrange par les Villes qui se rencontroyent en chemin, & par Messieurs les Estats Generaux.] Elle prit son chemin par les pays circonvoisins du Liege, par le Campinois, & villes de Hollande qui se rencontroyent au passage, asçavoir Dordrecht, Rotterdam, Delft, pour venir à la Haye, ou jadis les Princes & Gouverneurs de Hollande faisoyent leur residence. Là les Hauts & Puissans Seigneurs Estats Generaux luy allerent au devant en un magnifique train, & la vindrent saluer & luy offrir leurs services; comme le Tres-Illustre Prince dOrange avoit desja fait auparavant à Boisleduc. Elle passa quelques jours en ce lieu, pour se reposer des travaux & incommoditez de son voyage. Ce seroit une chose trop longue & esloignée de mon dessein, de faire mention de tous les lieux par où Elle a passé, & de descrire les pompes & magnificences avec lesquelles Elle y a esté receuë. Ie ne parleray que de ce qui a esté fait icy & representé en public à larrivée de la Reyne. Elle avoit un merveilleux desir de voir ceste Ville, de laquelle aupravant Elle avoit ouy dire plusieurs grandes choses. [Elle vient à Amsterdam.] Pourtant sy achemina Elle le dernier dAoust, accompagnée de la Tres-Illustre Princesse dOrange, de Madamoiselle Mauricette, fille du Prince de Portugal, du Comte de Culemborg, de Monsieur de Brederode, de la veufve du Sieur de Potles, soeur dudit Sieur de Brederode, & de sa fille aisnée, du Sieur de Heenvliet, Grand Veneur de Hollande & Ruard de Putten, & dautres de la Noblesse. Lingenieuse curiosité de quelques uns remarque, que le mesme mois qui estoit consacré à lhonneur de lEmpereur Romain, a aussi servi à ceste Imperatrice pour commencer son voyage, asçavoir Aoust, quen Latin on appelle Augustus, à une Auguste Princesse, & finissoit ce mesme jour quelle sen alloit en une [fol. C3r, p. 21] Ville honorée des armes de lEmpire. Passant donc par les terres des anciens Bataves & Kennemares Elle arrive sur le soir à Harlem, laquelle, entre les sept principales villes de Hollande, parle la seconde en lAssemblée des Estats, & est celebre à cause du rude siege quelle a soustenu, des arts & manufactures qui sy exercent, & de lexcellente invention de lImprimerie. Cecy ayant esté rapporté à Messieurs les Bourgmaistres dAmsterdam, promptement ils y envoyent leur Conseillier Pensionaire Guillaume Boreel, Sieur de Duynbeke, pour prier la Reyne de daigner aussi venir en leur Ville, soit par terre, soit par eau, comme il luy plairoit dy faire son entrée. Que le chemin par mer donneroit plus de plaisir à Sa Majesté, & conviendroit mieux à une telle Ville, à cause de la commodité & beauté des barques, & du grand nombre des navires de charge quElle verroit à lancre, chose qui ravit en admiration les estrangers. La Reyne receut benignement ceste invitation des Bourgmaistres, & leur promit de sy rendre le lendemain, avec laide de Dieu. Que le voyage par mer ne luy plaisoit pas tant, à cause de lincertaine disposition de lair & de la mer; quon preferoit la terre, comme la plus seure & la plus commode. Elle demeura une nuict à Harlem, ou Elle fut receuë par le Senat avec les honneurs deus à sa grandeur, les bourgeois aussi contribuans de leur costé tout ce qui estoit en eux, à ceste commune congratulation. Le premier jour de Septembre, qui estoit un Mercredy, Sa Majesté vint à Amsterdam, Ville dediée au negoce & exercices de Mercure, non point par le chemin oblique de la digue le la mer, mais par la chaussée de Fossé [fol. C3v, p. 22] neuf, qui meine tout droit à la Ville & sans destour. Ce jour qui estoit beau & serein sembloit se resjouyr de larrivée de la Reyne, toutesfois sur le soir il donna de la pluye, qui troubla un peu la feste. A mi-chemin on rencontre un lieu qui prend son nom de voisine hostelerie du Cerf, ou il y a des grosses & fortes escluses, par lesquelles le lac de Harlem se descharge dan le Zuyder Zee. Là par ordonnance des Bourgmaistres (car on nestoit pas encore asseuré par quel chemin la Reyne entreroit en la Ville) sestoit assemblée une grosse flotte de ces belles barques, qui servent à saller esbattre sur la mer, entre lesquelles la Capitainesse, appartenant à la Compagnie des Indes Occidentales, qui devoit recevoir la Reyne, la Princesse dOrange, & les principaux de Sa suite, estoit toute tendue de belles tapisseries, & couverte dun riche pavillon. Toutes les autres estoyent garnies de beaux voiles, & ornées de peintures, avec du Canon à la prouë & à la pouppe, & attendoyent en ce lieu-là larrivée de la Reyne. On y voyoit aussi flotter des longues bannieres de soye & de fine toile, qui ne leur apportoyent pas un petit ornement. Cest en ceste sorte quautresfois Athenes a receu ses Rois & ses Capitaines, Egypte sa Cleopatre, Rome Agrippine, & Tyr Alexandre le Grand qui lavoit vaincue. [On envoyt audevant de la Reyne une troupe de cavalerie & une flotte de barques.] Icy derechef ayant esté demandé à la Reyne ce quil luy plaisoit, ou poursuivre son chemin en carrosse, ou bien monter en la Capitainesse & estre accompagnée de ceste belle flotte quElle voyoit, Elle persista & son premier advis, soit à cause que la face de lair estoit un peu changée, ou pource quElle croyoit [fol. C4r, p. 23] que le chemin seroit plus long par eau, & quil y en avoit en sa compagnie qui craignoyent la mer. Comme on voyoit ceste armée flottante couvrir la riviere dY, ainsi sur terre il y avoit une belle troupe de Cavalerie qui venoit au devant de la Reyne pour laccompagner & conduire en la Ville. Ce nestoyent point gensdarmes à gage, mais la fleur de la jeunesse dAmsterdam, qui na point accoustumé daller à la guerre par le commandement du Prince ou les Seigneurs, mais de son bon gré entretient des chevaux pour un honneste exercice du corps & de lesprit. Les esperons, les estriers, les mords, les creins frizés, & autres tels ornemens de chevaux brilloyent tout dor & dargent, Es selles pareillement, poictraux & croupieres la beauté & la richesse combattoyent comme à lenvy. Ils navoyent pour toutes armes que lespée & le pistolet. Leurs chapeaux estoyent couverts de superbes panaches de diverses couleurs. Les chevaux marchoyent la teste levée, avoyent les yeux vifs, grands & estincelans, les oreilles courtes, le col delié par où il se joint à la teste, la poictrine large, le dos plein, les pieds larges & velus. La plus part estoyent bays, les autres noirs ou gris, & y avoit aussi quelques pies. On pouvoit recognoistre la generosité de quelques uns à leurs pieds noirs, à leurs crein blanc & crespu, & à leurs barres rougeastres. Dautres se rendoyent recommandables par une petite estoile au front, dautres par leurs pieds blancs. Ils estoyent si bien dressez que ceux qui les montoyent les tournoyent à droite ou à gauche à leur plaisir, obeyssans promptement au moindre bransle de la bride. Sils entendoyent quelque part le cliquetis des [fol. C4v, p. 24] armes, ils ne pouvoyent arrester en place. Quand on les faisoit faire alte, ils maschoyent leurs freins escumans, & dressans les oreilles, frappoyent du pied contre terre. Ils marchoyent à la cadence, & par leurs hennissemens sembloyent vouloir favoriser le dessein de leurs maistres, avec telle gravité, que si par un instinct secret ils eussent senti quils alloyent au devant dune Reyne. Il y avoit trois cavaliers à chasque rang. Devant eux marchoyent trois trompettes vestus descarlate, faisans retentir lair de leurs fanfares, & remplissans les oreilles dune harmonieuse melodie. Les cavaliers estoyent distinguez entreux par la façon et le couleur de leurs habits. Les uns estoyent couverts de velours, les autres de satin, les autres de panne. Derechef les uns avoyent des accoustremens descarlate, les autres de brodés, les autres des decoupés & mouchetés. La plus part avoyent pour habit de dessus un collet de buffle, à la soldatesque. En somme il les faisoit tous fort beau voir. Nest à propos dobjecter icy le dire dAnnibal, que les soldats doivent plustost estre forts & vaillans que richement accoustrez. Ny celuy dHorace, que le craintif marinier ne se confie point en son navire peint. Car combien que ceste magnifique troupoe nallast point à la guerre, mais au devant dune Reyne, toutesfois il y avoit tant de vigueur, tant de generosité & de grandeur de courage, en ceste florissante jeunesse dont elle estoit composée, que si, non point la Reyne MARIE, mais Annibal luy mesme eust esté aux portes de la ville, elle eust esté capable de len chasser, employant à une aspre & serieuse guerre ces mesmes armes, qui alors ne servoyent quà lostentation & à la parade. Et ne faut pas [fol. D1r, p. 25] du tout condamner la parure & enrichissement en lequippage militaire. Platon & Ciceron, cestuy-la au douzieme livre des loix, cestuy-cy au second, veulent quon ne garde & nemploye les couleurs & teintures, ques ornemens de la guerre. Iules Cesar mesme, le plus vaillant de tous les Capitaines, avoit des soldats si richement accoustrez, que leurs armures brilloyent toutes dor & dargent. Ce quil leur permettoit non seulement pour la beauté, mais aussi afin quils eussent plus de soin de les conserver en la meslée, pour la crainte du dommage. Pareillement Vegece en son livre de lArt militaire, ordonne que les soldats soyent braves en leurs habits, & ayent leurs armes bien polies & reluisantes. Le Chef de ceste troupe de cavalerie estoit Corneille de Davelaer, Advocat, Sieur de Petthem, lequel, comme la Reyne sarrestoit pour la contampler, luy parla en ceste sorte: SERENISSIME PRINCESSE, Cest icy la cavalerie de la Ville dAmsterdam, qui par lordre & commandement de Messieurs les Bourgmaistres & Regens de la Ville, portez dune singuliere affection envers Vostre Majesté, pour son incomparable dignité & tres-grands merites, luy vient au devant à son entrée en ces quartiers & jurisdiction dAmsterdam, en tesmoignage & pour un eschantillon de la resjouyssance publique qui est dedans la Ville; un chacun se congratulant de ce quil a pleu à Vostre Majesté par dessus tous les benefices desja receus, sabbaisser pour esclairer du Soleil de sa grandeur la Ville dAmsterdam. Nous offrons donc à Vostre Ma- [fol. D1v, p. 26] jesté tous les services qui sont en nostre pouvoir, ls prians treshumblement quil luy soit agreable de se laisser conduire par ceste compagnie dans les murailles de la Ville, en la maison ou de tout temps on a accoustumé de loger les Princes & grands personnages qui viennent icy. Là Elle trouvera que ce devoir que nous luy rendons, nest quune petite monstre de grandes obligation que ceste Ville luy a, & nesgale en aucune sorte les merites & grandeur de vostre Majesté. La Reyne respondit sur cela; quelle remercioit Messieurs les Bourgmaistres, & que leur offre luy estoit agreable. [Les compagnies des bourgeois sont disposees par la Ville.] Mais tandis que ces choses se passent dehors, on prepare dedans la Ville par lordonnance des Bourgmaistres, tout ce qui estoit requis pour la magnificence de ceste reception. Il y a dancienneté en la Ville vingt compagnies de bourgeois, esquelles consiste sa principale force & defence. Car tousjours on a trouvé bon es Republiques bien policées de se confier plustost aux subjets naturels qua des soldats mercenaires, & de ne se reposer point tant sur le secours estranger, quon nemploye tousjours plus grand nombre, de ceux, qui ont interest à la conservation de lEstat. On commande à ceste gendarmerie de sassembler, un chacun sous son Capitaine & sous son enseigne: Ils estoyent armez en partie de picques, en partie de mousquets, & couverts de casques & cuirasses. Quant aux habits ils estoyent divers, ou selon la qualité des charges, ou selon la volonté dun chacun; mais il ny avoit personne qui ne se fust efforcé dy paroistre en tresbel equippage. Tous en- [fol. D2r, p. 27] semble montoyent au nombre de quatre mille hommes deslite, ou un peu plus. On assigne à chacune de ces compagnies leur place par la Ville. Les unes attendoyent à la porte par où la Reyne devoit entrer. Les autres estoyent disposées en haye de costé & dautre, avec un tresbel ordre, tout le long de la Nouvelle digue, de la place du marché, quon appelle le Dam, & de diverses rues jusques au Palais du Prince. On en mit quelques unes sur les trois celebres ponts du Damerac, & sur les bords diceluy. Cest un grand & large Canal, par lequel les eaux de la riviere dY, ou plustots du Zuyder Zee se rendent dans la Ville, & sestend jusques à lescluse du dam. Il sert de quay aux navires qui de toutes parts viennent au marché, & aux batteaux de bled. Mais alors les Seigneurs avoyent commandé que tous ces vaisseaux se retirassent, pour faire place à sa Majesté, quon esrimoit devoir entrer par là. Et en ce mesme Canal estoyent gardez secrettement sous les ponts, les spectacles qui peu apres devoyent estre representez. Les fenestres & avant-toicts des marchans de costé & dautre du Damerac, avoyent esté loüez un grand argent, par ceux qui estoyent curieux de voir les pompes de ceste entrée. Mais la Reyne ayant pris un autre chemin, tout cest appareil se reposa ce jour là & le suivant. On avoit aussi tiré plusieurs Canons de lArsenal public, quon avoit mis sur les bords de lY, & sur les lieux plus eminens & avancez dans leau. Toute la Ville de son propre mouvement chomma ce jour là, comme si ceust esté uns feste solennelle. Il ne se trouva personne que laage, ou le sexe, ou la multitude de ses affaires, ou le soin de son mesnage, [fol. D2v, p. 28] retinst & empeschast quil ne sortist de la maison, pour repaistre ses yeux avides de la veuë de ceste grande Princesse. On ne sauroit dire quelle foule il a avoit dhommes, de femmes, de garçons, de filles, accourans de toutes parts à ce spectacle. Les rues & places de la Ville estoyent tellement remplies de monde, quil estoit impossible dy passer. Les toicts gemissoyent sous le pesant fardeau de la multitude des regardans. Et voyoit on ceux qui navoyent peu trouver de place sur la terre, perchez sur des arbes, ou se tenans suspendus à des antennes de navires, non sans grand danger. Les estrangers & les bourgeois & habitans, estoyent tous esgalement curieux de voir, tachans de se surmonter les uns les autres en ceste honneste emulation. Les uns occupoyent les porches, les autres les enclos & faillies des maisons. Les plus hardis montoyent sur les faistes & se tenoyent aux pignons, hazardans leur vie pour lardent desir de voir qui les possedoit. Les avant-toicts estoyent soustenus avec des appuis, de peur quils ne fussent escrasez sous la multuitude de ceux qui estoyent montez dessus. On avoit aussi en divers endroits dressé des theatres & eschaffauts, qui estoyent remplis de peuple. Sur les cinq heures apres midy lAstre de Medicis apparut sur lhorizon dAmsterdam; la Mere des plus grands Rois de lUnivers entra dans ceste celebre Ville, accompagnée & conduite par la troupe de cavalerie qui luy estoit allée au devant. Alors le Canon, deschargé de tous les endroits de la Ville, par son terrible bruit fit sçavoir à chacun larrivée de la Reyne. Tant de tonnerres & de foudres [fol. D3r, p. 29] venans à esclatter tout à la fois, on eust veu lair tout en feu, le ciel enveloppé dune onde de fumée, & la terre trembler, comme preste à se fendre. Les grosses cloches de tous les clochers de la Ville portoyent, avec leur son, par les villages circonvoisins, la resjouyssance commune, & les moindres, par leur tresareable concert & harmonie, se joignoyent aux applaudissemens du peuple. A lentrée de la Ville & porte de Harlem, les Sieurs André Bicker, cy devant Bourgmaistre & Ambassadeur vers les Rois de Poloigne & de Suede, Colonel de la gendarmerie de la Ville, Pierre Reael, Thresorier, Gerbrand Nicolas Pancras, Conseiller, Iaques Bicker, Assesseur de la Compagnie de Indes Orientales, tous Capitaines des bourgeois, receurent la Reyne avec congratulation, [Le Pensionaire C. Boom fait une harangue à la Reyne.] le Sieur Corneille Boom Conseiller Pensionaire portant le parole & disant. MADAME, Messieurs les Bourgmaistres de ceste Ville ont deputé expressement Monsieur le Colonel & Capitaine icy presens, pour tesmoigner la joye publique de lheureuse arrivé de Vostre Majesté, & la gloire qui en demeurera à la Ville à jamais. Aussi pour supplier bien humblement Vostre Majesté, de trouver bon que lesdits colonel & Capitaines avec leurs gens, puissent avoir lhonneur de la conduire dans la Maison du Prince, où Messieurs les Bourgmaistres, avec sa permission, auront loccasion & le bon heur de pouvoir declarer amplement la joye de leurs ames, & dy faire offre à Vostre Majesté de leur treshumble service, au [fol. D3v, p. 30] nom de la Ville. Pourtant Monsieur le Colonel & les Capitaines attendans dun ardent desir la grace destre admis à lhonneur de ceste conduite, prient treshumblement quil plaise Vostre Majesté davoir pour agreable la profession publique quils font destre vos tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs. La Reyne receut tres-humainement & dun visage allegre les devoirs dhonneur qui luy estoyent si franchement offerts par Monsieur le Colonel & les Capitaines. [Entrée de la Reyne dans la Ville.] Partie de là, au milieu des pompes triomphales de la cavalerie qui marchoit devant, & de linfanterie qui la suivoit, & entre les belles rangées des bourgeois armez, qui remplissoyent les rues de costé & dautre, Elle passa par la Nouvelle digue, & vint jusques à lhostel de Ville & à la grande place du marché. La Cavalerie & les carosses de la Reyne & de son train alloyent plus lentement à cause de la merveilleuse & presque incroyable multitude de gens accourans de toutes parts; lesquels non seulement occupoyent les rues, mais aussi se jettoyent, non sans un manifeste peril, sue les rouës de son carosse. [Arc triomphal.] Au sortir de ladite Place, là où la rue commence, on recontroit un haut & superbe Arc triomphal; au faiste duquel il y avoit un petit Navire, qui sont les anciennes armoiries & seau de la Ville dAmsterdam. Au haut du mas on voyoit flotter une belle banderolle de taffetas rouge. Et dans le Navire estoyent deux Comtes de Hollande, armez à lantique, qui ont ottroyé à ceste Ville des privileges, en memoire & recognoissance desquels elle a tousjours voulu rete- [fol. D4r, p. 31] nir ceste marque. Bien à propos certes ceux-là ont pris pour leurs Armes un Navire, qui par le moyen de leurs navires courans par tout le monde, se sont eslevez en un faiste de grandeur, qui tourne à la gloire de leurs alliez, apporte de la terreur à leurs ennemis, & de lestonnement aux peuples esloignez. Les aisles avec lesquelles nos marchands volent jusques aux Indes, en Orient & en Occident, & y portent leurs marchandies, ne sont que des planches assemblées. Ces viles planches nous font jouyr des richesses & commoditez des pays les plus reculez de lUnivers. Par leur moyen nous avons osté au Roy de Portugal & de Castille les Moluques & le Bresil. Elles nous ont servi à entreprendre des grands & perilleux voyages au Septentrion & par la mer Scythique, qui ont rendu par tout celebre le courage de nos gens. Ce sont elles qui depuis peu ont traversé la mer Pacifique, & sont allées au golfe de Mexique, arrachans dentre les mains dun tres-puissant Roy des immenses sommes dor & dargent. Tellement qua bon droict ceste Ville qui doit aux navires toute sa puissance & bonheur, se delecte à porter un Navire pour ses Armes. [Au theatre de l Arc estoyent representées les espousailles dHenry IV, & de Marie de Medicis.] Le premier Spectacle qui se voyoit au theatre posé au haut de lArc, estoit la representation des Espousailles du Roy Tres-Chrestien HENRY IV, Roy de France & de Navarre, & de la Reyne Tres-Chrestienne MARIE DE MEDICIS. Là ceste illustre & venerable couple se tenoyent par la main, pour se donner mutuellement la foy de mariage; avec une Majesté convenable à des Rois, avec une beauté & bonne grace requise en des Espoux, & une magnificence dhabits [fol. D4v, p. 32] propre à des Dieux en terre. Cest en telle pompe, comme je croy, que Ionon a autresfois tenu compagnie à Iupiter, Thetis à Pelée, Aspasia à Cyrus, Livia à Auguste, Marie à Honorius, Minervine à Constantin, quand ils se marioyent ensemble. Derriere estoit le Sacré Prelat qui benissoit le mariage. Et afin quil parust quune chose de telle importance ne se faisoit point sans la volonté de Dieu, deux Anges soustenoyent denhaut une Couronne sur ces testes royales, pour signifier que lalliance de ce Grand Prince avec ceste Grande Princesse, plaisoit à Dieu, auquel servent ces Esprits bienheureux. Le Roy avoit la teste entourée dune couronne de laurier, qui estoit autresfois lornement des Empereurs triomphans. Tout le reste de son corps estoit armé, afin de monstrer quentre ces resjouyssances & sollemnitez nuptiales, le roy pensoit à la seureté de son Estat, & quil nestoit pas encor affranchi des travaux & sollicitudes de Mars, quand ceste sollennité se dedioit à Venus, qui veut un accoustrement plus delicat. Ce qui ne saccorde pas mal avec la verité de lhistoire. Car le Sieur de Thou raconte que le roy estoit habillé en soldat, quand il entra dans Lyon pour se marier avec la Reyne. Sur ses espaules il avoit un manteau royal brodé dor & de soye, afin que ces Nopces ne fussent point destituées de toute magnificence dhabits, convenable à une telle Majesté. Un page portoit son casque, tesmoin de tant de victoires, si souvent arrousé du sang de ses ennemis, & qui entre les gresles de boulets pleuvans de toutes parts, estoit tousjours demeuré inviolable. La Reyne aussi y paroissoit avec une dignité heroique, & une gravité singuliere. Avec une [fol. E1r, p. 33] dignité, dy-je, requise en la fille dun grand Duc, avec une gravité digne dune Princesse de la maison de Medicis, & avec une bonne grace convenable à une Espouse. La longue queuë de sa robbe parsemée de fleurs de lis dor sur un fond bleu, monstroit que cestoit une Reyne de France. A costé du theatre & à la droite du Roy estoit Hercule, non point couvert des despouilles dun Lion, qui ne se recouvrent icy quà grand peine, mais à demy ceint dune peau dOurse, tenant en sa main une massue, dont il a escrasé tant de monstres, des Hydres, des Lions, des Taureaux, des Cerberes, des Antées & des Caques. On ne pouvoit donner à un Roy espoux un plus propre Paranymphe que ce patron de vaillance, de sagesse, & de constance, cest Hercule ennemi irreconciliable de la tyrannie, extirpateur des crimes, & defenseur de la liberté. Aux pieds dHercule estoit un bouclier qui portoit engravées les armes du Royaume des fleurs de Lys. Aupres de luy on voyoit Mars branslant une espée en sa main, qui est le Dieu sans lassistance duquel on a autresfois creu que nulle guerre ne se pouvoit ny entreprendre, ny parachever heureusement. Et nestoit pas aussi mal à propos, de faire trouver le Mars Thracien aux Nopces du Mars François. La Reyne avoit pour compagne Pallas, qui est la Deesse de Sapience, qui instruit les Reynes & les induit à bien faire, à discerner lhonneste davec le deshonneste, lutile du dommageable; & à procurer entant quen elle est la paix & lincolumité des Royaumes. Ainsi par ceste representation estoit signifié assez ouvertement, que la prudence de Medicis se ma- [fol. E1v, p. 34] rioit avec le plus vaillant Roy de la terre. Au haut de son espieu voltigeoit une enseigne en laquelle estoyent depeintes les Armes de la maison de Medicis. En son bouclier elle ne portoit point leffroyable reste de Meduse, mais les mesmes Armes, pour ramentevoir à la Reyne de combien illustre famille Elle estoit issue. Car il avoit pleu à linventeur de ces gentillesses de destourner de lamiable regard de la Reyne, & de la sollennité sacrée de son mariage, cest hideux visage & tout herissé de serpens.
Et Princeps Italûm nobile fedus adit. Et rutilis juxta fulgens HENRICUS in armis, Hac sibi sceptrorum spem genitrice facit. Herculis hîc faciem videas, hîc Pallada. quorum Haec regnis mentem commodat, Ille manum.
Qui prend pour son espoux un Prince belliqueux, Et chaste se sousmet aux loix de lhymenée Dun Monarque prudent, sage & tres-valeureux. HENRY paroist aupres couvert darmes dorées, Dont lustre le brillant resplandit à nos yeux, Qui se promet de voir dans le cours des années De MARIE & de soy des Roys tres glorieux. Le genereux Hercule & la docte Minerve Comparoissent icy en leur plus grand esclat, Dont lun par sa valeur les Empires conserve, Lautre par son conseil les maintient en estat. [fol. E2r, p. 35] [Les septenaires de ceux d Avignon accommodez au mariage du Roy & de la Reyne] Pource quil sagit icy des Nopces Royales, je rapporteray, non point comme une chose grave & fort serieuse, mais comme une invention laborieuse & pleine dindustrie, que ceux dAvignon, lors que la Reyne passa pour saller marier au Roy, es Arcx triomphaux & theatres quils dresserent à son honneur, choisirent le nombre de Sept, qui est tenu de bon augure, comme convenant au Roy, & à la Reyne, & à leur Ville, en beaucoup de choses. Quil y a VII palais en Avignon, autant de paroisses, VII anciens monasteres, VII convens de religieuses, VII hospitaux, & autant de colleges & de portes. Qualors le Roy estoit aagé de VII fois VII ans; quil estoit le neuf fois VIIe qui regnoit depuis Pharamond, quà Arques pres de Diepe, le trois fois VIIe de VIIembre il avoit battu ses ennemis; quà Yvri son armée estoit composée de VII bataillons quarrez; quil gagna ceste bataille le deux fois VIIe jour de Mars; quil remporta la victoire à Fontaine-Françoise le VIIe mois de lannée, & la deux fois VIIe heure du jour, cest à dire à deux heures apres midy; & quau mesme mois en lEglise de Sainct Denys il avoit fait solennelle profession de la religion de ses ancestres; quAmyens avoit esté pris par les Espagnols lan M D XC & VIIe , & recouvré par le Roy au mois de VIIembre que le XX & VIIe de Fevrier il avoit esté sacré à Chartres avec une grande pompe; & que le trois fois VIIe de Iuin il avoit conclud la paix avec les Espagnols. Que la Reyne estoit en sa XX & VIIe année; quelle estoit petite fille de Ferdinand, VIIe Empereur de la maison dAutriche; quelle estoit venue dItalie avec X & VII [fol. E2v, p. 36] galeres, que la Capitainesse avoit XX & VII rangées de rames de costé & dautre. Auxquels septenaires nous en pouvons encor adjouster un, à savoir que la Reyne est entrée à Amsterdam au mois de VIIembre. Mais le Sieur du Vair, alors premier President au Parlement dAix, & depuis Garde des Seaux de France, parle plus gravement de ce mariage en lharangue quil fit à la Reyne à son arrivée à Marseille. Ie linsereray icy toute entiere, comme un prognostie de sa future fecondité Royale. MADAME, [Harangue du Sieur du Vair faite à la Reyne à son arrivée à Marseille.] Sitost que nous avons veu vostre Majesté aborder en ceste Province, & avec Elle la felicité en ce Royaume, nous avons abandonné le siege de la justice souveraine, que nous avons cest honneur de tenir, pour nous venir prosterner à vos pieds, vous rendre un des plus illustres hommages que puisse recevoir la couronne qui ceint maintenant vostre chef, & nous prononcer quant & quant redeuables de tous les voeux que nous avons jamais fait pour le bien & salut de cest Estat. Car asseurement aujourdhuy les croyons nous exaucez, & estimons que tant de merveilles que Dieu avoit commencé douvrer pour la restauration de la France, sont entierement accomplies; & que nostre bonne fortune qui sembloit auparavant chancelante, soit maintenant assisse sur une ferme base & immobile fondement. Dieu nous a donné un Roy excellent en vertus, admirable en bonté, incomparable en vaillance, qui par ses labeurs nous a mis en repos, par ses perils en seureté, par ses victoires en [fol. E3r, p. 37] reputation. De sorte que nous nous fuissions quasi dits bienheureux, si une triste pensée neust souvent troublé le cours de nos joyes. Ceste pensée dy-je, qui nous representoit que la nature a borné la vie de tous les hommes du monde, tant des grands que des petits, des Rois que leurs subjets: que la solitude & lorbité rendoyent à nostre Prince la sienne moins agreable, & luy diminuoyent le desir & le soin de la conserver & cherir. A cela nos souhaits cerchoyent tous les jours des remedes, & ne sçavions doù les esperer, jusques à tant que lesclair de vostre face royale a percé le nuage de nos ennuis, & fait poindre à nos yeux une vive esperance de voir doresnavant nostre bonheur aussi stable quadmirable. Car voyant reluire en vostre visage tant de graces, dont la nature vous a ornée, considerant ceste naifve douceur dont elle a temperé vostre royale gravité, & oyant la voix celebre de la renommée, qui publie par tout la vivacité de vostre esprit, la solidité de vostre jugement, lelegance de vos discours: mais qui fait retentir par dessus tout cela, le los incomparable de vos sainctes & religieuses moeurs: nous nous persuadons que vous estes vrayement celle que le ciel avoit destinée pour adoucir par une agreable societé la vie de nostre Prince, prolonger ses jours par son contentement, & perpetuer lheur de son regne par la suitte dune longuide lignée & ample posterité. Nous jugeons que vous estes vrayement seule sur la terre, digne de recevoir & faire reposer en vostre chaste sein, la vie tant exercée de plus noble & triomphant Roy qui vive aujourdhuy: & que seul il meritoit au monde de recueillir dans ses bras victorieux la plus vertueuse & plus a- [fol. E3v, p. 38] greable Princesse quait porté le siecle ou nous vivons. Et de là nous presageons que nous verrons bien tost autour de vous un bon nombre de beaux enfans, portans sur leur front la valeur de leur pere, la vertu de leur mere, la grandeur & noblesse de la maison de France, où vous estes alliée; lheur & la puissance de celle dAutriche, dont vous estes issue; & la prudence & sagesse de celle de Florence, dont vous estes née. A la creance de ce doux presage toutes choses nous convïent, les heureux succes de guerre qui sont arrivez à nostre Prince à mesure que vous vous acheminiez vers luy, la paix quà vostre arrivée il donne à ses subjets & à ses voisins, & le ciel & la mer encore, puis que nous voyons evidemment quau moment de vostre debarquement la mer pleine dagitation sest calmée, & le ciel plein de nuages sest esclaircy, comme sils vouloyent dun oeil riant celebrer avec nous la magnificence de vostre bien-fortunée reception. A la bonne heure donc, ô Grand Reyne, soyez vous jointe à nos bords; heureuse soyez vous longuement en la France & à la France: que le siecle que nous commençons, vous puisse voir à sa fin treschere Femme dun Grand Roy, & les siecles à venir vous renommer glorieuse Mere de grands Roys. Mais pour le comble de vostre gloire, souvenez vous, & vous resouvenez, que comme vous estes devenue une Grande Reyne en espousant un Grand Roy, aussi estes-vous devenue mere charitable des peuples desquels il est le vray pere: & pource commencez dentrer en part de ceste sollicitude royale & dilection paternelle. Et puis que la felicité des subjets est la vraye gloire des Princes, fomentez & augmentez par vostre [fol. E4r, p. 39] aide & faveur lamour & affection que ce grand Roy vostre espoux a naturellement au bien & soulagement des siens, afin quil vous sentent comme un nouvel Astre luisant benignement sur eux, & leur influant un cours perpetuel de toute prosperité. Ce faisant vous oyrez tous les ordres de ce grand & florissant royaume, joindre leurs voix pour benir vostre nom, joindre leurs desirs pour fortifier leur fidele affection à vostre tres-humble service. Et quant à nous, Madame, qui ne cerchons nostre plus grand heur & plus grand honneur en ce monde, qua bien & dignement servir nostre Prince, vous voyant eslevée en son throne avec luy, vous consacrerons pour tousjours, comme nous faisons presentement, nos coeurs, nos affections, & nos vies, pour demeurer tant que nous serons au monde, vos tres-humbles, tres-fideles & tres-obeyssans officiers, serviteurs & subjets. Nous avons entendu comme ce Mariage a esté representé sur le theatre. Maintenant pour rappeller lesprit du lecteur des feintes images aux choses mesmes & à la verité, jen exposeray la maniere et la forme, comment il a esté commencé en un lieu & consommé en lautre, par les paroles du grand de Thou. Entre les diverses sollicitudes, dit il, de la guerre, en laquelle on sen alloit entrer, laffaire du mariage du Roy avec MARIE DE MEDICIS, fille de François grand Duc de Toscane, ne fut point intermise. Le premier contracté vingt-huict ans auparavant avec Marguerite fille du Roy Henry II, & soeur de Charles IX, ayant esté declaré nul par la sentence du Cardinal de Ioyeuse, Nicolas Brulard Sieur de Sillery, Ambassadeur du Roy pres [fol. E4v, p. 40] du Pape, fut envoyé à Florence avec un tresample pouvoir, pour souscrire au nom de Roy aux articles ja auparavant debattus & accordez. Puis apres le Roy sen allant en Savoye, envoya une commission speciale à Ferdinand Grand Duc de Toscane, oncle de MARIE, pour faire les fiançailles, par Monsieur de Bellegarde Grand escuyer, qui partit de Marseille avec XL gentilshommes, & arriva à Livorne le XX de Septembre, & trois jours apres à Florence, ou il fut tres-magnifiquement receu par les Seigneurs Iean & Antoine, fils naturels de la maison de Medicis. Ferdinand aussi Grand Duc de Toscane, sortant du Palais des Pity, alla en personne au devant de luy avec toute sa Cour, & apres les salutations & congratulations mutuelles, ayant appris la charge que Monsieur de Bellegarde avoit du Roy, ils sen allerent tous deux en son Palais, où ledit Sieur de Bellegarde estant conduit vers la Princesse MARIE, luy bailla des lettres escrites de la propre main du Roy, & luy declara la plus ample commission quil avoit receuë. Le deuxieme jour dOctobre, Vincent Duc de Mantoue arriva à Florence avec sa femme Eleonor, soeur de MARIE; & le lendemain le Cardinal Aldobrandin, Ambassadeur de Venise, destiné Legat vers le Roy pour traicter de la paix, passa par Florence afin dassister de la part du Pape aux ceremonies de ces epoussailles, & le quatrieme dudit mois entra en la ville avec une pompe solennelle, le Grand Duc luy estant allé au devant jusquà la porte de la ville, non seulement avec sa Cour, mais aussi accompagné de tout le Clergé de Florence, & de là marchant à sa gauche jusquà la grande Eglise, où tous deux descendirent [fol. F1r, p. 41] de cheval, & les prieres publiques achevées, sen allerent ensemble au Palais Ducal. Apres le souper, qui fut fort magnifique, Le Cardinal Aldobrandin sen alla saluer la Princesse MARIE. Le jour suivant furent celebrées les ceremonies des espoussailles, le Legat luy mesmes faisant le service, ayant à sa main droite ladite Princesse MARIE, & à sa gauche, Le Grand Duc de Toscane son oncle. Et voyla quant aux Espoussailles faites par procureur. Mais apres que la Reyne fut dItalie arrivée en France, & venu à Lion, le Roy luy mesme sans procureur accomplit la solennité du mariage. Là la Reyne attendit huict jours entiers le Roy qui estoit occupé au siege du fort de S. Catherine. Finalement elle apprit le IX de Decembre, quil venoit en diligence, & arriveroit ce mesme jour. Pourtant elle soupa plus tost que coustume, & se retira en la chambre prochaine, où le Roy se rendit incontinent, habillé à la soldatesque. Alors furent derechef celebrées les sollennitez des espoussailles, faites auparavant à Florence, où se trouva une fort grande assemblée de Princes, de Seigneurs & de grandes Dames, comme aussi des Ambassadeurs des Princes estrangers, entre lesquels de la part des Archiducs Albert & Isabelle, estoit Charles de Ligny, Comte dAremberg. Mais pour retourner à lArc triomphal, la Reyne ayant fait tourner son carrosse vers le theatre, contempla le tout fort attentivement, & ne cessa dy avoir les yeux fichez jusquà ce que les rideaux estans tirez, desrobberent aux spectateurs la veuë de ces illustres Mariés. De là Elle fut menée par les plus celebres & plus larges rues de la Ville, afin que les carrosses y [fol. F1v, p. 42] rencontrassent moins dempeschemens. On la fit passer par la peuplée & marchande rue aux Herbes, où les maisons sont extremement cheres, & les places fort estroictes. Là demeurent peslemesle les orfevres horlogers, joalliers, tapissiers, lapidaires, fourbisseurs, armuriers, sculpteurs, estaimiers, les marchans de vin, de toiles, de draps de soye, peletiers, chapeliers, passementiers, droguistes, apothicaires, ciriers, & infinies autres sortes de marchans & dartisans. De là on la mena par la rue de Lisdel, puis en tournant vers le midy, le long du Canal de Velours, ainsi appellé pour la beauté des maisons qui sont de costé & dautre. Là on arriva tout devant la rue des Archers, vers le pont Porcin; au bout duquel on avoit dressé un second Arc triomphal, de grande hauteur, & tout enrichi de peintures. Au sommet estoit escrit en grosses lettres ce demi vers de Virgile, LAETA DEUM PARTU, pour signifier que la Reyne Mere a porté des enfans que sont comme des Dieux en terre. Là sestant arrestée, & les rideaux destournez, se vit en haut un autre spectacle, qui estoit la Reyne mesme, representée à la façon de Berecynthie Mere des Dieux, assise sur un magnifique chariot, auquel estoyent attelez, non point des colombes, comme à celui de Venus, ni des paons comme à celui de Iunon, ni des Lynx, comme à celui de Bacchus, mais des Lions, que la fabuleuse antiquité a attribué à Berecynthie. Entre les Romains les chariots des generaux darmée triomphans de leurs ennemis, estoyent traisnez par des chevaux, tandis que la Republique a demeuré debout. Mais ayant perdu sa liberté, M. Antoine Triumvir premier, comme à limitation des Dieux, [fol. F2r, p. 43] voulut avoir au sien des lions. Et comme Berecynthie porte-tours, estoit autresfois pourmenée par les villes de Phrygie environnée des Dieux celestes, ainsi fut veuë en ceste representation la Berecynthie des François, entournée de toutes parts accompagnée dune lignée de Dieux terrestres. Sur le devant du chariot estoit assis LOUIS le Iuste, Roy de France & de Navarre, & aupres de lui son frere GASTON, Duc dOrleans. Sur le derriere estoyent ses trois filles, à savoir HENRIETTE MARIE, femme de CHARLES, Roy de la grand Bretagne, Defenseur de la foy: ELISABETH, mariée au trespuissant Roy dEspagne PHILIPPE IV: & CHRISTINE, espousse du Grand Duc de Savoye, VICTOR AMEDEE. Chacun deux & delles estoyent distinguez paas les Armories de leurs Royaumes & Duchez. Cesar Germanicus estoit environné de pareil nombre denfans, en ce beau triomphe quil remporta de Cherusces, des Cattiens & des Angrivaires. Sa grande beauté (dit Tacite au II livre de ses Annales) arrestoit les yeux des regardans, & son chariot chargé de cinq de ses enfans. Il y avoit quatre Vierges autour de son chariot, qui representoyent lEurope, lAsie, lAfrique, & lAmerique: chacune desquelles parties du monde se pouvoyent discerner par les divers fruicts & animaux quelles portent. Ce qui avoit esté fait à dessein de monstrer que le Roy & les Reynes qui estoyent en ce chariot de leur Mere, estendent leur domination par toutes ces parties de lUnivers. Sur quoy furent composez ces vers Latins: QUalis per Phrygias quondam Berecynthia portas, Vecta fuit, partu tot celebrata Deûm: Ingredere auspiciis nostram felicibus Urbem, Atque oculos per me fer, MEDICEA, tuos, [fol. F2v, p. 44] Quos portus, qua tecta vides, turresque, ratesque, Templaque, fortunae sunt monumenta meae. Per terras fluctusque vagor, sua munera mundus Mittit, & hîc precio prostat uterque suo. Caesaream felix, abavo donane, coronam, Et decus à vestro sanguine grande tuli. Ad Te praeteriti redeat nunc gratia facti, Et non immemorem, maxima Neptis, habe. Sic placui defensa tuo Regina marito, Sic nato de Te Rege beata fruor. Si majus genuisse Deos, Regesque, Ducesque, Jam Matri liceat tot placuisse Deûm. Ce que nous avons rendu en Françoys par les vers suivans. Ainsi quon vit jadis es villes de Phrygie, Sur un char triomphant, La grande Cybele, Mere des Dieux, suivie De ses fils en chantant: Entrés de mesme icy Princesse dItalie, Grande de MEDICIS. Jettés vos yeux par tout, cest moy qui vous convie Reyne des fleurs de lys. Tous ces grands bastimens & ces tours eslevées Qui sont devant vos yeux, Ces temples, ces vaisseaux, & ces ports, sont trophées De mon sort bien-heureux. Ja vay tousjours flottant sur terre & sur les ondes. Les lieux les plus lointains Menvoyent leurs presens, & icy les deux mondes Se vendent aux humains. Ceste couronne dor dont on me voit parée, Marque des Empereurs, [fol. F3r, p. 45] Avec ces grands honneurs dont je suis entourée, Me vient de vos Majeurs. Pour nestre point ingrate, agrées mes services, Et les remerciemens, Que je dois aux bienfaits & mille & mille offices Receus de vos parens. Cest ainsi quautrefois jay eu pour favorable Le Roy vostre mary: Cest ainsi maintenant que je suis agreable Au rejetton d HENRY. Mais puis que cest bien plus davoir porté des Princes, Des Monarques, des Roys, Dieux de cest Univers, gouvernans leurs Provinces Par lequité des loix. Quil me soit donc permis prendre le soin de plaire, Aux yeux Majestueux, Dune divinité regnante icy sur terre, Mere de tant de Dieux. Vis à vis de ce chariot se voyoit un Navire, qui sembloit venir au devant de sa Majesté. Sur sa prouë estoit une belle Vierge, revestue de tressomptueux vestemens, representant la Ville d Amsterdam. Elle avoit le visage baissé, & le corps un peu courbé, pour faire la reverence à la Reyne, & lui offrir humblement les voeus publics & protestations de service. On appercevoit au mesme Navire, ces deux Comtes de Hollande dont ci dessus a esté faite mention. Lun deux tenoit un espieu en sa main, duquel pendoit une banniere, où estoyent les Armories d Amsterdam. La Reyne ayant repeu ses yeux de la veuë de ce [fol. F3v, p. 46] tresagreable Spectacle, entra au Palais de Prince qui estoit proche, & là finit la pompe & magnificence de son entrée. Cest la maison en laquelle on a accoustumé de loger les Princes & Gouverneurs de Hollande, quant ils viennent en ceste Ville. Ce quarrivant rarement, une partie dicelle est employée à recevoir le College de lAdmirauté, composé des Duputez des Provinces unies des Pays bas, ayans charge de nettoyer la mer de pirates, & sur tout de resister aux Dunkerquois, & pourveoir à la seureté de lOcean & de ceux qui navigent. Il y a une grande cour quarrée au milieu, pavée de pierres de diverse couleur. En entrant, à main gauche on rencontre une belle galerie, bastie par le Senat lan M D XCIV, quand le Prince Maurice de Nassau, de glorieuse memoire, apres avoir pris Groningue, entra triomphant en ceste Ville. Elle contient plusieurs grandes & magnifiques chambres & sales, esquelles peuvent assez dignement estre receus les plus grands Princes. Il est bien vrai quun plus auguste, & plus royal palais estoit deu à uns si grande Reyne: mais la Ville dAmsterdam ne lui en pouvoit donner un plus auguste, pour la memoire de ses Princes, quautresfois elle y a receus. Ca esté le logis de la Reyne tandis quelle a sejourné ici. La tres-Illustre Princesse dOrange fut logée en la belle & grande maison d marchand Elie Trip. Proche de là le Comte de Culembourg, Monsieur de Brederode, & le Grand Veneur de Hollande, eurent leurs departemens ailleurs. Messieurs les Bourgmaistres firent ouvrir à ces Seigneurs le jardin des arquebusiers où il y a une belle maison nouvellement bastie, pour prendre leur repas. La [fol. F4r, p. 47] Reyne estant entrêe en une grande sale richement tapissée, sassit dans une haute chaire qui lui avoit esté preparée, comme en son throne. Theodore Hasselaer, Sergeant Major de la garnison, & Assesseur du College de la Compagnie des Indes Orientales, logé en un quartir de ce Palais, se laissa charger du soin de pourvoir à tout ce qui estoit requis pour la commodité & seureté de la Reyne. Et sy employa avec mesme fidelité, & affection que ci devant il a tousjours fait au service de la Ville. Alors Messieurs les Bourgmaistres dAmsterdam, estans sortis de lhostel de Ville, dont ils nont coustume de bouger, ny quand la ville est esmeuë de joye, ny quand elle est troublée de tristesse, sen allerent trouver la Reyne avec les Sieurs Guillaume Boreel, & Corneille Boom leurs Conseillers Pensionaires, pour se conjouir avec Elle au nom de la Ville, de son heureuse arrivée. Estans entrez & luy ayans fait la reverence, ledit Guillaume Boreel Sieur de Duynbeke, luy parla en ceste sorte. SERENISSME PRINCESSE , Messieurs les Bourgmaistres & Regens de ceste Ville, viennent presenter à Vostre Majesté leurs tres-humbles & tres-fideles services: & se trouvent obligez de tesmoigner lindicible contentement quils reçoivent de lheureuse arrivée de Vostre Royale personne en ceste bonne Ville. De laquelle ils offrent les commoditez à V. M. la prians quil luy plaise dy faire un long sejour, dont ils se tiendront dautant plus honorez & obligez. Vostre Majesté verra, sil [fol. F4v, p. 48] luy plaist, commentdurant ces longues & penibles guerres, la Ville non seulement sest conservée en son ancien estre, mais aussi a esté grandement augmentée & embellie, sous le bon gouvernement de Messeigneurs les Estats, & les Assistances des Rois qui nous sont alliez; particulierement sous la faveur de V.M. Et comme tout cest Estat en general, se trouve à ceste cause grandement, obligé envers Elle, aussi pour la part quy tient ceste Ville, elle taschera de sacquitter aucunement, selon son pouvoir & loccasion presente, non point selon la merite de V.M. Les bons Rois et Princes doivent ressembler à celuy quils representent en terre, qui permet que ses tres-grands & assidus bienfaits soyent compensez par une sincere volonté & prompte recognoissance. Laquelle nous protestons estre aussi entiere & ferme en ces Messieurs, comme ils desirent & prient que Vostre Majesté conserve & eux & leur ville à jamais ne ses Royales races & faveurs, auxquelles is font derechef offre de leus tres-humbles & tres-affectionez services. [Response de la Reyne.] La Reyne respondit amiablement à ceste harangue du Pensionaire, QuElle remercioit les Seigneurs de ceste Ville du tesmoignage daffection & bonne volonté quils luy rendoyent; que dés long temps Elle avoit eu le désir de voir ceste tresrenommée Ville, que maintenant loccasion sen presentoit, & quElle vouloit considerer attentivement tout ce quil y avoit de beau & de rare. En ayant derechef remercié les Seigneurs de ceste Republique, declara avec des paroles pleines de bienveuillance, que la demonstration dune si grande courtoisie, luy estoit tres-agreable. [fol. G1r, p. 49] Les Bourgmaistres au partir de là sen allerent trouver la Tres-illustre Princesse dOrange, qui a tousjours tenu fidele compagnie à a Reyne durant sos voyage, & apres lavoir salué & fait offre de leur tres-humble service, se retirerent en lHostel de Ville, afin de donner ordre à ce que requeroit lhonneur de la Reyne, & de leur Republique. La coustume porte que quand on fait garde soit au camp soit es villes, le Mot de guet se donne aux Capitaines ou Officiers qui sont en garde. Au camp cest à faire au General de le donner, & es Villes aux Bourgmaistres. Mais ils defererent cest honneur à la Reyne, tandis quelle fut icy, de donner tous les soirs le Mot; & pour la premiere fois elle choisit celuy de MARIE. Ceste tres-prudente Reyne voulant prester son nom à la garde & seureté des bourgeois & habitans, dont Elle avoit recognu laffection en ce grand accours de toutes parts pour la voir, & en tant de demonstrations de joye & dallegresse à son arrivée. Mesme Elle reputoit peu de chose, de defendre par le secret du Mot, une Ville pour lamour de laquelle Elle estoit preste de faire tout ce qui estoit en son pouvoir. Elle souhaittoit que non pas la simple prononciation du nom de MARIE, mais MARIE Elle mesme toute entiere, peust un jour servir à lavancement de lhonneur & prosperité du Senat & du peuple. Elle se reposoit desja dans son Palais, mais non pas encore nosre cavalerie, ny les compagnies de nos bourgeois. Car en mesme ordre quils avoyent receu la Reyne, lavoyent conduit par la Ville, & accompagné son carrosse, ils viennent à passer devant son logis, & ainsi nachevent la pompe de ceste magnifique entrée que bien avant dans la [fol. G1v, p. 50] nuict. Les bourgeois en divers endroits jettans des fusées en lair en signe de resjouyssance, sembloyent vouloir convertir la nuict en jour. Mais combien que ces fusées esgalissent les faistes des plus hautes tours, toutesfois elles estoyent beaucoup au dessous de la gloire & renommée de Sa Majesté. Il y avoit seulement la pluye qui estoit tombée depuis Midy, qui en faisoit plaindre quelques uns des plus delicats. Et comme les esprits des hommes sont enclins à faire des prognostics, il sen trouvoit qui disoyent que ceste pluye ne signifioit rien de bon. Mais à lopposite ceux qui prenoyent plaisir à sentretenir de joyeuses esperances, disoyent que le ciel ne presagissoit rien de triste, ains plustost toutes choses bonnes & heureuses: que le Soleil sestoit monstré ce jour là, les Zephyrs avoyent doucement soufflé, Neptune sestoit un peu esmeu, mais sans orage, pour faire la reverence à la Dame de la mer Françoise, que lY & lAmstel avoyent doucement fremi en leurs rives, Vulcan avoit vomy ses feux par la bouche des machines de guerre, & que le lesclat de ces foudres la terre avoit esté esbranlée. Quaussi Iunon, qui est lair, navoit peu sabstenir de participer à la resjouyssance publique, & quelle navoit autrement peu tesmoigner sa joye quen amassant les nues, auxquelles elle commande, les resolvant en pluye, & avec ceste fertile rosée descendant dans le giron de la terre pour la faire fructifier. Les autres disoyent quon avoit preparé un chariot à Berecynthie, qui est la terre, laquelle ne peut estre obligée dun plus grand benefice que dune douce pluye, apres avoir esté reschauffée des rayons de Phoebus. Dautres qui contrefaisoyent les graves, di- [fol. G2r, p. 51] soyent desdaigneusement, que les grands plaisirs ordinairement sont accompagnez de douleur, les choses tristes meslées avec les joyeuses, & que linsolence de la prosperité est reprimée par ladversité: comme si ceux-la devoyent este marris de voir leursbeaux habits mouillez de la rosée du ciel, qui ont voüé leurs propres vies au salut de leur Patrie & de lEstat. Le jour suivant fut employé à visiter la Ville. Apres midy les Seigneurs conduisirent sa Majesté en la maison de la Compagnie des Indes Orientales, où la courtoisie des Administrateurs de ceste Compagnie lavoit convié. Cest un grand & spatieux bastiment, ou il y a divers magasins & lieux propres à garder & exposer au Soleil les espiceries des Indes, poivre, muscades, fleurs de muscade, girofle, canelle & autres semblables. La porte, la cour, les sales & les chambres sont superbes & magnifiques. En la chambre des Administrateurs, où ils ont accoustumé de sassembler & tenir conseil de leurs affaires, se voyent diverses sortes de peintures estrangeres de la Chine & du Iapon. En lun des tableaux est representée la grande ville de Batavia, avec sa forte, & inaccessible citadelle; qui est la principale ville & estape de tout nostre commerce aux Indes. Elle est située dans la royaume de Iacatra appartenant à cest Estat. En un autre la nouvelle Zelande ou royaume de Pacan, avec une ville & citadelle nouvellement basties au voysinage de la Chine, & servans destape au negoce de la Chine & du Iapon. En dautres les Isles des Moluques, dAmboina, & de Banda; les forests portans les espiceries, les forteresses, les villes, les ports aux- [fol. G2v, p. 52] quels les nostres commandent en Orient. Item les lieux circonvoisins de la Chine, qui monstrent le credit & pouvoir des Hollandois parmi des peuples habitans au bout de la terre. En un autre, le Palais du Roy de Iapon, qui na point son pareil au monde en grandeur, force & somptuosité. Il y a aussi plusieurs sortes darmes estrangers pendues aux murailles, piques, lances, javelines, haches, bouclies à lIndienne, & force autres raretez. Les planchers & galeries, distinguées avec des narreaux en divers receptacles, ployent sous le fardeau des marchandises. Icy se voyent de grands monceaux de soye preparée & non preparée. Là y a aussi des tas despiceries, de gommes, de sucs & dindigo pour les teinturiers, chacun en son propre lieu & reservoir. Bref, toutes les marchandises de ceste sorte dont les Moscovites, Polonnois, Suedois, Danois, Allemans, François, Italiens, Africains, Grecs & Flamens, ont affaire, se trouvent en ceste maison, où comme par un continuel flus & reflus, on apporte les unes & emporte les autres. On y ameine tous les ans, pleins des grands Navires de porcelaine, qui est une sorte de vaiselle de terre tresprecieuse & tresagreable. Scaliger & Cardan estiment que cest la myrrhine, dont il est parlé es escrits des anciens. Mais à ces navigations pourroit estre à bon droict appliqué, ce que Pline disoit autres-fois de la victoire que Pompée le Grand avoit remporté de Mithridates, quelles ont encliné à lamour des pierreries & de la vaisselle doutre-mer, les moeurs des habitans de ce pays icy, qui en sont comme rassottez. La Compagnie de ceste maison, de petits commencemens, sest aujour- [fol. G3r, p. 53] dhuy, par la grace de Dieu, eslevée en telle grandeur & opulence, que les marchans qui dés son premier establissement y ont mis leur argent, ont maintenant huict pour un. Cest icy la Societé qui de ses propres revenus leve des soldats, dresse des armées, sort en campagne, fait des guerres en lautre monde, prend des villes & fortresses, sassujettit des isles, equippe des flottes, despouille le Roy dEspagne de ses terres, ports & destroits, & rompant en un autre Climat les forces dun si puissant ennemy, soulage grandement les travaux de sa chere patrie. En somme elle fait & execute des choses qui ne sont gueres esloignées des entreprises des grands Princes.
Et procul Eoo fixit in orbe pedem. Memnoniae patuere Domus, patuere Moluccae, Regnaque federibus tot sociata novis. In thalamos Aurora tuos jam classibus itum est, Et Batavos alibi, tectaque nostra vides. Non satis est vicisse domi. cum Sole vagamur, Et tanto volupe est vincere teste foris. Sint vestra merces Indi, sumus horrea Belgae. Quas Oriens fruges parturit, Arctos habet. Servat hyems merces, quas torrida coxerat aestas, Et calidum gaudet mandere bruma piper. Mittunt thura Arabes, permutant serica Persae, Et spaciosa suas Java ministrat opes. [fol. G3v, p. 54] Parthica distentas onerant velamina puppes, Poclaque Sinarum carbasa plena vomunt. Ostia quot fundit Ganges, tot navigat unus Amstela, & externo sub Jove bella gerit. Lucra sinus omnes nobis atque aequora pandunt, Inveniunt quovis littore lucra viam. Hesperio cum Rege solum partimur & undas, Et formidati frangimus arma Tagi. Qui dubitas, castella, domos, arcesque tuere, Atque alio patriam crede sub axe dari. Sic aliis alius populis divenditur orbis, Totaque se vendens machina, rursus emit. Quaeque ferax longè spatiis immanibus Eos Colligit, in Batavis continet una Domus.
LA Fortune sestant fait chemin par les ondes Sest trouvée en flottant dans les Indes fecondes, Elle a posé son pied bien loin dans lOrient, Et fendu de sa nef les vagues du Levant. (5) Les Palais de Memnon, Iava & plusieurs Isles, Luy ont ouverts leurs ports, luy ont ouverts leurs villes. Un chacun la receuë, & les Roys alliez, La retirans chez eux se sont creus obligez. Aurore ce fust lors que la flotte Hollandoise (10) Vint surgir dans tes ports, & que premier courtoise, Tu luy permis bastir sa demeure chez toy, Et recueillir tes fruicts pour un autre & pour soy. Hollande ne pouvant contenir nos victoires, Nous suivons le soleil, & cerchons dautres gloires, [fol. G4r, p. 55] (15) Nous reputans heureux davoir un tel tesmoin, Des plus rares exploits que nous faisons fort loin. Indiens cest de vos champs que tous ces biens là viennent, Que nous avons chez nous, que nos greniers contiennent. Les fruicts que lOrient nourit en ses jardins (20) Se voyent sous le Nord dedans nos magazins. Le Persan fait trafic avec nous de ses soyes; Java nous departit sa richesse & ses proyes. LArabe envoye icy ses meilleures senteurs, Lencens & le Benzoin, & ses riches sueurs. (25) La Parthe nous fournit de cotton & de toille, Le Chinois de sa terre & fragile vaisselle. Un seul Hollandois fend de sa Pouppe au travers De tous les bras tortus du Gange, & de ses mers. Sous un ciel estranger nous dressons des trophées, (30) Et navigeons par tout enseignes desployées. Les mers ouvrent par tout leur ports à nostre gain, Es Moluques, Iapon, & rivage lointain. LEspaignol departit avec nous tout le monde: Le Tage redouté craint nous voyant sur londe. (35) Que si vous en doutés regardés nos rempars, Nos chasteaux, nos maisons, nos forts, nos boulevars. Croyés que nous avons bien loin dans lautre monde, Basti une patrie en terre fort feconde. Ainsi lautre Univers se vendant aux humains, (40) Rachete puis apres les pays plus lointains. Tout ce que lOrient dans sa vaste estenduë, De sa chaleur produit, sexpose icy en veuë. Et tout ce que lAurore a de riche chez soy, Se voit en mon logis & se trouve chez moy. [fol. G4v, p. 56] [Festin composé des drogues dOrient preparé à la Reyne.] La Reyne entrant en ceste maison par une cour dont le pavé estoit tapissé de beaux draps, les Administrateurs de la Compagnie, luy avoyent preparé dans la grande sale un festin qui ne contentoit pas seulement le palais, mais aussi estoit propre à resjouyr les yeux & le nez. La magnificence dun Roy luy eust peu dresser une plus somptueuse table, mais la maison des Indes ne luy pouvoit rien presenter de plus convenable. Car ceste table nestoit couverte que de mets particuliers aux Indes, des fruits & revenus de ce pays là, servis en guise de viandes. Les anciens ont fait grand estat des paons de Samos, des gelinottes dIonie, des grues Melices, des chevreaux dAmbracie, des thons de Chalcedoine, des helopes de Rhodes, des scares de Cilice, des huistres du lac Lucrin, des laictances de Murenes, des barbeaux de Marseille, des langues de Phoenicopteres. Il ny avoit point icy de telles friandises & delicatesses: mais seulement des fruicts & presens de Perse, dArabie, des Moluques, du Iapon, de la Chine, dans de grands bassins de Porcelaine, agencez avec en bel ordre sur des longues tables; dont la nouveauté apporta un grand contentement à Sa Majesté. On y avoit servi du poivre rond & du poivre long fort beau à voir. La fleur de muscade, & les muscades de trois sortes, les unes enfermées dans leurs gousses où enveloppoirs, les autres couvertes de leurs fleurs, les autres confites rendoyent tesmoignage de la beninité des Moluques. Une haute pile de bastons de canelle mis en croix, monstroit combien excellentes plantes nourit lOrient. Un grand tas de girofles & des pacquets de soye preparée & non preparée, fai- [fol. H1r, p. 57] soyent voir les richesses & lindustrie de la Perse & de la Chine. Le Borax y resjouyssoit les yeux par sa blancheur, le Benzoin le nez par sa bonne odeur. Le musc, le styrax, les santaux, & lIndigo tenoyent aussi leur place en ce banquet. Entre les mets servants à la recreation de la veuë, y avoit encor le vermeil sang de Dragon, des tablettes du suc de fleur de muscade, & la Goutte gambe, dont le jaune doré brilloit entre les autres couleurs. Lencens & la myrrhe des Sabeens, dont autresfois on faisoit des encensemens aux Dieux, servoyent alors de parfum à la Deesse de la France. Les Cubebes & la Rheubarbe, les longues Cannes de succre, & le salpetre dont on fait la foudroyante poudre à Canon, ny estoyent point omis. Il y avoit pareillement de la gomme, laque, & de la cire, & des huiles de muscade & fleur de muscade de grand prix, & du gingembre d deux sortes confit & non confit. Les yeux & les mains de la Reyne se poumenoyent parmy ces mets estrangers & inusitez, & par une plaisante fantasie, Elle simaginoit banquetter avec les Indiens, Moluquois, Persans, Arabes, Iaponnois & Chinois. Elle desdaignoit en comparaison de ces viandes icy, les autres ordinaires & journalieres, faisans, perdrix, levrauts, sangliers, & toutes les autres delicatesses que les friands recerchent avec une desmesurée despense, pour rassasier leur appetit. On ne sestoit pas proposé icy dassouvir la prodigieuse avidité dAsinius Celer, ou dApicius, ou de Claudius, ou de Caligula, ou dune Cleopatre. On ny avoit pas appresté des poissons peschez en une mer estrangere, ny des oiseaux nourris sous un autre climat, ny des [fol. H1v, p. 58] fleurs dautre saison. On ny avoit pas fait comme ceux qui en hyver espandent des roses nouvelles sur le vin, ou au coeur de lesté prennent plaisir à boire dans de la glace. Tout y estoit sans luxe & sans prodigalité; ils ne faisoyent monstre que de ce qui a accoustumné destre apporté icy tous les ans dOrient.
Mater, & Eoas attigit ore dapes. Stabant ante oculos messes, quas miserat Indus, Quas dederant Persae, quas preciosus Arabs. (5) Delibat MEDICEA suis fragrantia cannis Cinnama, & externo fercula missa solo. Adspicit Aurorae segetem, thus, balsama, myrrham; Et spaciis Superûm munera stare suis. Haec oculis placuere magis, magis illa palato, (10) Gustus, odor, partes hic obiere suas. Talia non posuit Thetidi convivia Peleus, Non epulis istis accubuere Ioves. Non haec adspexit Latium, cum victor ab hoste Romulidûm intraret moenia Caesar ovans. (15) Tunc aliquis dixit secum: quae fercula ΚÓΣΜΟΣ Hîc parat, haec COSMIfilia grandis edit.
Contempla les douceurs dOrient apportées, Et gousta des presens, que portent à lenvi Les Isles fortunées. [fol. H2r, p. 59] (5) On luy servit pour lors les fruicts & les moissons Des Moluques, Iapon, du Royaume de Perse, Elle vid devant soy les senteurs & les dons, Que lArabe nous verse. Lors la Grand MEDICIS en estendant sa main, (10) Prist, rompit, & gousta lodorente canelle, Comme aussy dautres mets servis à ce festin, De la terre nouvelle. Puis contemplant les biens dans l. Orient produits, Le Borax & lEncens & la goutte de Myrrhe. (15) Plus Elle tient ses yeux colés sur ces beaux fruicts, Plus Elle les admire. Les uns plaisent aux yeux, les autres au palais: Lodorat & le goust font icy leurs offices. En devant sa Thetis Peleus ne mit jamais, (20) De si rares services. Les Dieux nont point gousté dun si bel appareil: Ni quand tout triomphant Cesar entra dans Rome, LItalie ne vit rien qui fust de pareil, A ces mets & ce Baume. (25) Lors quelcun dit tout bas, ce que va produisant, Tout ce grand Univers que les grecs nomment KOSME, Cest ce que gouste icy & mange maintenant, La fille du Grand COSME. La Reyne se contentant de gouster quelques uns de ces mets, & de regarder ou manier les autres, dit dun visage riant que cest appareil de fruits & delices estrangeres luy avoit merveilleusement pleu, & sen estant allé voir les principales chambres de la maison, & contemplé les tableaux des conquestes & possessions de la Compagnie des Indes, avec autres raretés, en partant remercie les Administrateurs. [La Reyne visite les principaux endroits de la Ville.] Cela fait Messieurs les Bourgmaistres [fol. H2v, p. 60] la menerent pourmener par la Ville avec toute sa suitte. Elle vid les bastimens fondez sur des pilotis, & eslevez au milieu des marescages. Car ceste Ville aussi bien que Venise nage dans les eaux. Elle vid come la terre par travail & industrie est contrainte dobeyr, & de porter malgré soy des immenses fardeaux, lesquels estant laissée en sa nature elle engloutiroit entierement. Elle vid comme la grande augmentation faite depuis peu dannées en ça, esgale le circuit de la Veille Ville. Elle considera les larges & profonds canaux, qui comme rivieres arrousent la Ville de toutes parts, & sont trescommodes à transporter les marchandises là où on veut. Se pourmenant le long du Canal Royal, autrement appellé le Cingle, puis de celuy des Seigneurs, & apres de lImperial, qui sont dune telle estendue que de lun des bouts on ne peut descouvrir lautre. Elle vid par tout des belles & magnifiques maisons, merveilleusement commodes pour toute sorte de trafic, & dune varieté tres-agreable, esquelles lindustrie surpasse de beaucoup la nature. Principalement Elle sestonna de voir le Canal Imperial, lequel, (sil en faut croire ceux qui ont voyagé) na point son semblable en toute lEurope, soit quon regarde la longue & continuelle suitte de maisons, soit lelegance, beauté & commodité de la structure, soit la varieté de frontispices, des portaux & des faistes, bastis en partie à la Toscane, en partie à la Dorique, ou à lIonique, ou à la Corinthienne, soit les divers ponts de briques servans à conjoindre les deux costez du Canal, soit finalement les belles rangées darbres, dont ses bords sont par tout revestus. Elle [fol. H3r, p. 61] vid les belles Eglises consacrées à lhonneur de Dieu, non seulement des siecles precedens, mais aussi basties il ny a pas fort long temps, afin que ceux-là qui admirent à bon droict la pieté de nos ancestres, ne pensent pas que maintenant elle soit du tout esteinte entre nous. Elle vid les escluses, qui sont comme des barrieres que lindustrie de hommes a faites pour arrester le desbordement des rivieres, & limpetuosité des vagues de la mer, & par fois aussi servent, si la necessité le requiert, à lascher les eaux, & les destourner ailleurs. Elle considera les hautes tours, tant au milieu de la Ville, que sur la rive du fleuve, eslevées comme des Phares, avec une varieté de colomnes tres-agreable à voir, & si bien percées, que quand le Soleil donne dessus, rien nempesche ses rayons de passer de part en part. Tournant sa veuë sur la tour du Temple Occidental, Elle vid au faiste une Couronne Imperiale, qui est un ottroy de son bisayeul, & prit plaisir à regarder comme la liberalité de ses ancestres estoit eslevée jusques au ciel par la recognoissante posterité. Elle rencontra aussi en son chemin en divers Canaux plusieurs quais ou reposoirs de Navires, comme de celles de Londres, de Rouen, de la Rochelle, de Hambourg, de Lubec, dAnvers, de Harlingue, & dautres sans nombre. Elle vid des grandes piles de toutes sortes de bois, de poutres, chevrons & de planches, occupans une longue estendue de chemin, apportez icy de Russie, de Livonie, & de Norwege, ou mesmes des forests de la Frise Orientale, & de Westphalie. Laquelle matiere on employe ou à bastir des maisons, ou à construire des flottes, ou à faire des digues qui repriment [fol. H3v, p. 62] la fureur de la mer meridionale. Elle rencontra les belles places de marché, & les spacieux havres servans ou à refaire les Navires rompus, ou à en bastir des neufs. Elle vid la grande multitude de magasins faits pour resserrer toutes fortes de marchandises, contenans les uns des grands tas de dents dElephant, ou de bois de Bresil, les autres une merveilleuse quantité de lard de Baleine, les autres du tabac, les autres des cuirs, les autres du fer, les autres du cuivre. Elle passa aussi par les verreries, es fourneaux desquelles un feu continuel est entretenu, pour faire toutes sortes de vaisseaux de verre; les uns avec le souffle, les autres au tour, les uns argentez, les autres dorez. Ce temparament de verre flexible despleut autresfois à lEmpereur Tibere, lequel craignant que les autres metaux en fussent moins estimez, destruisit louvroir doù estoit procedée une si gentille invention. Il estoit à propos que la Reyne, qui par son affection & bienveuillance envers nos marchands na pas peu accreu ce Cornet dabondance dAmsterdam, vist ces choses au moins en passant. Et convenoit que ceste Divinité terrestre arrestast un peu ses pensées à la consideration de si grandes richesses, pour recognoistre quelles procedent toutes de la beneficence & liberalité du Dieu souverain. En ceste mesme pourmenade Sa Majesté vid la maison de la Compagnie des Indes Occidentales, dont les portaux, toict, escaliers, sales, chambres, magasins sont tout amples & fort beaux à voir. Cest icy la maison qui à monstré la premiere quon pouvoit aller en Occident & se lassujettir: laquelle cependant que lennemy attaque nos villes en ce pays, à lexem- [fol. H4r, p. 63] ple de Scipion lAfricain, le fatigue & consume ses forces en un climat estranger. Ainsi tasche elle dacquerir la paix au vieil monde, en despouillant le nouveau de ce qui sert à entretenir la guerre. Par sa vaillante & sage conduite nous avons conquis des grandes villes au delà des Tropiques & de lEquateur, & par la grace de Dieu les possedons encor à present. Nostre pays luy est obligé de ce que nous sommes maistres des ports, des rivieres, des golfes, des forteresses, des caps, des isles, & des moulins à succre du Bresil. Cest elle qui par un tres-heureux succes, a envoyé en ces terres incognues aux anciens, des Generaux de la maison de Nassau, des soldats, des armes, & des flottes de guerre, & par une insigne hardiesse a emporté sur lEspagnol la ville de S. Sauveur; qui a pillé & mis le feu es Navires ennemis, qui a triomphé dOlinde & de ses forteresses, & sest rendue maistresse dune grande estendue de pays au Bresil. Cest elle qui sous la conduite de lAdmiral Pierre Heyn, a desfait au rivage de Cuba la flotte de Mexique, chargée dor, dargent & de marchandises tres-precieuses, & par une valeur sans exemple, a la premiere apporté, non point en Grece mais en Hollande, ceste toison dor tant redoutée des Princes de lEurope. Par son moyen nous possedons une autre Belgique de là la mer, où nous trouvons dautres compatriotes; & tenons les ports & rivages dAfrique abondans en or. De sorte que nostre Republique appuyée sur la force de deux Compagnies, estend son Empire aussi loing que le Cours du Soleil. [La place du Marché.] La Reyne Mere se trouva aussi en la belle & spatieuse place du Marché, quon appelle vulgairement [fol. H4v, p. 64] le Dam, cest à dire la digue, pource quelle sert de digue & de separation aux rivieres dAmstel & dY. Tous les Lundis le marché se tient en ceste place; les autres jours elle sert de pourmenoir aux marchands, à lexemple du marché en Rome, duquel Plaute disoit, Que le gens de bien & les riches sy pourmenent. [LHostel de Ville.] En ce lieu là Elle vid lHOSTEL DE VILLE, & LE POIDS. Quant à lHostel de ville il est venerable seulement à cause de son antiquité. Les autres nouveaux ouvrages de la Ville resplendissent en une agreable beauté, Mais cestuy-cy nest recommandable que par sa vieillesse & murailles qui menacent ruine. La ville qui reluit par tout ailleurs, monstre icy son ancienne simplicité. Ceste maison qui apporte de lhonneur, de la magnificence, de la grandeur & de la force au reste de la ville, se le refuse à elle mesme. Elle tombe en ruine, tandis que çà et là elle dresse divers somptueux bastimens. Et celle qui a la premiere pensé à lembellissement dAmsterdam, pense à soy la derniere, aymant mieux servir au public par ses conseils, que cercher sa gloire & splendeur particuliere. Celle qui est renformée dans des estroictes espaces, estend ses limites au long & au large. Les Seigneurs par la sage conduite desquels on navige jusques aux bouts du monde, sont logez estroictement en un petit coin de leur Ville. Ceste maison de laquelle lheureux trafic nest limité daucunes bornes, ne contient que peu de pas en son estendue. Elle qui ravit les estrangers en admiration, ne veut pas paroistre magnifique aux yeux des siens. Elle nemploye point à son usage propre largent & lor quelle conserve soigneusement en ses thresors, comme le patrimoine des bourgeois. [fol. I1r, p. 65] Elle vid aussi en ce mesme endroit le POIDS, qui est une maison bien bastie, en forme quarrée, avec des ballustres & appuis tout autour par le haut, pour sy pouvoir pourmener sans danger. On y entre par quatre portes, qui respondent aux quatre coins du monde. A chacune dicelles on pese avec des grandes ou moyennes balances les marchandises, dont tous les jours ceste maison est comme assiegée; de forte qua peine y peut elle fournir. Elle apporte un tresgrand revenu au thresor de la Ville, & de la Province. La Princesse de MEDICIS vid ces balances, le jour que le Soleil entre au mois de la Balance. Et combien que ceste maison soit inferieure en grandeur aux superbes palais de Florence, toutesfois à peine puis-je croire quil sen voye aucune en toute lEurope qui ait un plus grand revenu. Passant le pont de briques qui conjoint les deux rives dAmstel, se presenta aux yeux de la Reyne, le superbe pourmenoir des marchands, quon appelle la BOURSE, de tresbelle structure. Toute ceste grande masse de bastiment est posée sur des voutes, & quarante colomnes de pierre soustiennent le dessus: de sorte qu il semble que les siecles mesmes qui consument tout, ne peuvent dissoudre cest assemblage.Il est difficile de dire en quoy ce bastiment excelle le plus, ou en la rareté de linvention, ou en la somptuosité & magnificence, ou au profit quil apporte. Il est environné par le bas du costé des rues & de lAmstel, de vingtsix boutiques. Mais le haut, où on monte par des beaux escaliers, fait voir plus de cent boutiques fournies de toutes les sortes de plus belles & gentilles merceries quon sçauroit desirer, tant estran- [fol. I1v, p. 66] geres que domestiques, & naturelles quartificielles. Cest icy ou se font les contracts par lesquels tout le monde est vendu & acheté. Icy on ne discourt que du prix des choses, du troc des marchandises, de charger ou descharger des* Navires, de mettre de largent à interest, den faire tenir en un lieu & den retirer laure. Les anciens escrivains font mention de sept fabriques, qui ons esté reputées pour autant de miracles: asçavoir, du temple de Diane dEphese, de la sepulture du Roy des Medes, des murs de Babylon, & des Pyramides dEgypte. Mais la Reyne nen a plus fait destat, apres avoir tant veu de choses admirables en une seule Ville. On leur a deferé de lhonneur, pource quelles estoyent les premieres, & quen ces rudes siecles tout ce qui paroissoit de nouveau & inusité, à bon droit estoit prisé. Mais maintenant toute ceste Ville ne semble estre autre chose quun miracle, quand ce e seroit que pour ceste seule cause, que cerchant par artifice de luy donner des solides fondemens, elle a esté toute bastie & appuyée sur les forests du Septentrion qui y ont esté transplantées, doù elle sest eslevée en ceste beauté, grandeur & Majesté quon y voit. Par dessous elle est basse & abjecte, par dessus magnifique & relevée: Par dessous elle est marescageuse, par dessus seiche & nette: par dessous elle est de bois, par dessus de briques & de marbre; par dessous elle est instable & mobile, mais maintenant ayant planté tant de forests au fond, elle est non moins dessous que dessus stable & immobile. Sur quoy a esté fait ce distique Latin: [fol. I2r, p. 67] Invertas, sit tota nemus, quo condita fundo est, Nuper Hyperboreo pinus in orbe fuit.
QuAmstel a sur son bord, On verroit des forests, despouilles de quelque isle, Assise sous le Nord. Le Vendredi se passa à des nouveaux Spectacles quon fit voir sur lAmstel, au costé meridional de lescluse du Dam, vulgairement appellé le Rockin. Car la riviere dAmstel, entrant dans la Vile du costé du Midy, & allant tout droict jusques à lescluse du Dam, par où elle se descharge dans le Damerac, vers le Septentrion se mesle avec lY, divise la Ville en deux parties, dont lune est appellée le viel costé, & lautre le Nouveau. [Arcs triomphaux dressez en une isle flottante sur lAmstel.] La partie Meridionale de lAmstel enclose entre deux ponts, fournit le lieu tant à ceux qui preparoyent des Spectacles de choses nouvelles, quaux curieux & attantifs regardans. Des nouveaux Arcs triomphaux faits en forme de maison, qui estoyent louvrage dune nuict, furent dressez en une Isle, laquelle avec une merveilleuse vistesse fut amenée, par des paysans, de certains marescages qui sont à une lieuë & demy de la Ville, & flottoit sur les eaux comme une autre Delos, ou Samos, ou Nerite, toute verdoyante dherbage, & remplie de joncs & de roseaux. Lune des faces de ceste maison regardoit le Midy, [fol. I2v, p. 68] lautre le Septentrion, afin que quand la Reyne viendroit, elle luy representast des deux costez nouveaux Spectacles. Les jours precedens avoyent veu la terre faire hommage à sa Majesté Royale, mais cestuycy les eaux se sont voüées à son service. Alors on se pourmenoit en carrosse par la Ville; maintenant on employe les barques & fregattes pour aller sur les eaux. Alos les spectateurs couroyent çà & là pour voir ce qui sy passoit; maintenant ou ils sarrestent sur le bord de la riviere, ou biens ils voltigent sur leau. Alors furent veuës les principales parties de la Ville; maintenant sont representez des spectacles concernans pour la plus part la Reyne, les Toscans & les François. Toute la Ville y estoit accourue, & le peuple sestendant jusques vers les rampars occupoit presque un quart de lieuë de pays. On voyoit sur la rive des grosses troupes dhommes, de femmes, de garçons, & de jeunes filles. Tous y estoyent peslemesle, les riches & les povres, les marchands & les courretiers, les naturels du pays & les estrangers, les François avec les Anglois. Chacun estoit enflammé dune mesme ardeur, de voir quelque chose de rare & inusité. Les ponts comme les plus commodes ployoyent sous le fardeau des regardans, mais il y falloit acheter les places bien cherement. Es fenestres des maisons qui sont de costé & dautre du canal, on ne voyoit pas seulement une personne ou deux, mais des essains & des armées, & ce nestoit point pour tout gratuitement. Les plus agiles montoyent sur les arbes. Il y en avoit entre les matelots, enfans de Neptune, qui se tenoyent suspendus aux [fol. I3r, p. 69] pieux où on a accoustumé dattacher en leau les batteaux, & avec une merveilleuse addresse donnoyent le contrepoids à leurs corps, de peur quils ne panchassent plus dun costé que dautre. Le menu peuple sestoit juché sur les ballustres des tours & planchers des maisons à demy basties. Et combien quil nu fust pas permis à tous indifferement dentrer en ceste partie de lAmstel, toutesfois plusieurs petits batteaux pleins de gens, sy estoyent glissez, qui attendoyent sur les rives ce qui arriveroit. Toute lespace qui est entre les deux ponts servoit dAmphitheatre. On rapporte que la Reyne dit, que ny en Italie, ny en France, non pas mesme à Paris Ville tres peuplée, Elle avoit jamais veu une si grande multitude de gens ramassée ne un lieu si estroict. Midi estoit desia passé quand ceste tres-ilustre Reyne sa monstra derechef au peuple dAmsterdam. Elle vint avec la Princesse dOrange, lEscoutette, & les Bourgmaistres, en une belle barque couverte & magnifiquement tapissée. Les Senateurs, les Eschevins, les Seigneurs de lAdmiraulté & principaux bourgeois, estoyent en dautres batteaux. Alors furent ouvertes deux escluses, opposées lune à lautre. Lune appellée lescluse de Gremenesse, rendit sa Majesté dans lAmstel, & comme Elle sapprochoit, lautre appellée lescluse aux boeufs, soudainement ouverte, jetta dimpetuosité devant Elle dans un bouillon deau, Neptune nageant & luy venant à la rencontre. Il avoit pour chariot une coquille, comme il convenoit au Dieu de la mer. Ce chariot estoit traisné par des chevaux marins, aboutissans en pois- [fol. I3v, p. 70] sons, avec des pieds escaillés, ayant la teste & le dos hors de leau. On voyoit dans la coquille ce Dieu de la mer avec des longs cheveux blancs tout herissez, & une barbe mal peignée & couverte descume, tenant son terrible trident en la main, le visage refroigné comme un viellard chagrin, le corps nud & conduisant ses chevaux avec des longues resnes. Un batteau suivoit Neptune, en la pouppe du quel estoit assis Mercure, quon tient estre le Dieu de leloquence, & le patron & protecteur des marchands. Il portoit, selon sa coustume, un bonnet ailsé, & tenoit en sa main droite son Caducée, avec lequel il retire les ames des enfers, ou bien les y envoye. A son costé estoyent quatre Najades, dans des layettes de boys qui les couvroyent jusquaux espaules, ayans le front ceint de couronnes verdes, tissues de alge, de mousse, de feuilles & de fleurs, qui representoyent lEurope, lAsie, lAfrique & lAmerique. Chacune dicelles tenoit entre ses bras comme une Corne dAmalthée, remplie des fruicts & revenus que donnent ces quatre parties du monde. Sur la proüe se voyoit une belle Vierge representant Amsterdam, laquelle enclinant son corps, pour faire la reverence, congratuloit la Reyne de son heureuse arrivée. On tenoit que ce spectacle convenoit bien à la Reyne, qui en la personne de ses enfans domine sur plusieurs mers: & à la vile aussi, qui est obligée au vray Dieu, seul Seigneur de la mer, du commencement, du progres, & de la continuation de sa prosperité. [fol. I4r, p. 71]
Tolli severa fronte, canis horridum, Saevum tridenti, maximi Deum maris, Cujus marina monstra currus ductitant, (5) Hinc inde lusitante Najadum choro. Et ille puppi celsus eminens nepos Atlantis, artis arbiter mercantium, Fandi peritus, emptor idem & venditor, Nunc sortis author optimae, nunc pessimae, (10) Anceps favendi: Quaeque Virgo pulchrior Vultu decenti flectit obvium genu: Gratantur omnes Galliarum Numini, Pronisque votis Principi se devovent. Neptunus offert caerulas Ponti vias, (15) Facilesque fluctus, strata ventis aequora, Quà filiorum sceptra jus exporrigunt Gallus, Britannus, praepotensque Cantaber. Tegeaeus iste priscus interpres Deûm, Urbem Parenti Liliisque consecrat. (20) At Amstelis Virago Neptuno suo, Cyllenioque nixa, mercantes Deos Subdit coruscae PRINCIPI, hanc ipsam DEO. Lesquels vers nous avons exprimés par les suivans: CE Neptune cinglant sur le dos de ces ondes, Dieu du grand Ocean, Roy de toutes ses bondes, Les cheveux herissés, & qui tient un Trident, Monté dessus un char qui les mers va fendant, [fol. I4v, p. 72] (5) Que des monstres marins, parmy les eaux bruyantes, Tirent, environnez, de Najades jouantes. Ce Dieu que vous voyés, protecteur des marchans, Ce Mercure empenné, pere des bien-disans; Qui tantost est l auteur dune fortune heureuse, (10) Tantost dune mauvaise, ou bien dune doueuse. Et la Vierge dAmstel qui se panche devant, Le visage serein, le front doux & riant: Font offre de leurs voeux à ceste grand Princesse, Que le François adore & tient pour la Deesse. (15) Neptune offre ses mers & ses champs ondoyans, Par tout où luy plaira daller voir ses enfans, Promettant de tenir les flots dans leurs rivages, De calmer tout les vents, empescher les orages: Soit quelle veuille voir lEspaignol, ou Françoys, (20) Ou mouiller lancre aux ports quoccupent les Anglois. Le Massager des Dieux, en suivant son office, Luy dedie & aux Lys, la Ville & son service. Et ceste Vierge cy offre tout à la fois, Et Neptune & Mercure à la MERE des ROYS. (25) Puis se consacre aussy soy mesme & ses pensées, Au grand DIEU de ce Tout, auteur des destinées. [Le mariage de François de Medicis & de Ieanne dAutriche.] De là la Capitainesse qui portoit la Reyne, se tourna vers la partie Septentrionale de lIsle, ou premierement fut representé le mariage de FRANCOIS DE MEDICIS, & de IEANNE dAUSTRICHE, les pere & mere de MARIE DE MEDICIS, en la presence du Tres-Auguste Empereur FERDINAND, son ayeul. Ce FRANCOIS estoit fils de COSME, qui de Duc de Florence a le premier obtenu le titre de grand Duc de Toscane, par les suffrages du Pape PIE V. Tellement que la Reyne du costé paternel, est issue [fol. K1r, p. 73] de ceste famille, que COSME DE MEDICIS, à qui par ordonnance publique le surnom de Pere de sa patrie a esté donné, a rendu illustre: duquel, PIERRE DE MEDICIS, imitateur des vertus de son pere, na pas esté indigne successeur, ny LAURENT le grand, & son frere IULIAN, appelle communement le Prince de la jeunesse, afin que je ne parle point de IEAN & de IULES DE MEDICIS, qui ayans esté eslevez à la dignité Papale, ont pris les noms, lun de LEON X, & lautre de CLEMENT VII, & nont pas apporté un petit ornement à la maison de MEDICIS. Sa mere IEANNE dAUSTRICHE, fille de lEmpereur FERDINAND, de treslouable memoire, se glorifie de PHILIPPE dAUSTRICHE, Roy dEspagne son ayeul, & de MAXIMILIAN son bisayeul: qui avoit espoulé MARIE , fille de CHARLES le Hardy, unique heritiere de ces pays icy. Entre les grands oncles de la Reyne a esté lEmpereur CHARLES V, Prince & Seigneur de tous les Pays bas; qui tient lun des premiers rangs entre tous ceux qui ont jamais manié les armes, en cognoissance de lart militaire, felicité, grandeur de courage, prudence es dangers, & promptitude à executer des grandes choses. Tels sont les parens & ancestres dont est sortie la Princesse MARIE. Son lieu natal est la Toscane, anciennement appellée Etrurie, province celebre à cause des religions qui y avoyent la vogue; dont le peuple Romain a transferé à son usage les faisceaux, les robbes brochées de pourpre, les chaires dyvoire, les anneaux, les casaques, & les ornemens triomphaux. Car il nestoit point convenable, quune Princesse qui devoit commander à tant de peuples, & estre Mere [fol. K1v, p. 74] de tant de Rois nasquitailleurs, que là, doù lEmperiere Rome na point eu de honte demprunter les ornemens qui relevoyent la dignité de lEmpire.
Sistimus, & Batavis foedera prisca damus. His nati rexêre Duces, MEDICEAQUE latè Lumina conjugiis emicuere novis. (5) Haec inter MARIA est, raro quae munere Divûm, Non nisi per Regum nomina Mater abit. Hoc demum est peperisse; Orbi donasse tiaras. Sic sua stant regnis robora, sic thalamis.
IEANNE Fille dAUSTRICHE & toy Prince FRANCOYS, Vostre heureux mariage. Icy les Hollandoys, Voyent vos fronts parés de laurier, & guirlande. (5) Les grands Ducs engendrés de ces deux personnages, Ont regi les Toscans, pleins de gloire & dhonneur. Le nom de MEDICIS a espars sa lueur Es pays esloignés, par plusieurs mariages. Entre iceux tient son rang la Princesse MARIE, (10) Qui par un don de ciel inouy autres-fois, Ne se nomme que Mere & de Ducs & de Roys, Qui regnent en Europe, Amerique & Asie. [fol. K2r, p. 75] On peut donc à bon droit tenir cest assemblage Pour heureux, qui a mis au monde tant des Roys. (15) Et cest par ce moyen que sont fermes les Loix, Des Empires, Estats & du Sainct mariage. Lors la Scene estant changée, lEmpereur MAXIMILIAN se presenta sur le theatre, avec un accoustrement convenable à sa grandeur, environné des Electeurs de lEmpire, & donnant une Couronne Imperiale à Amsterdam. Il descendoit de son throne pour faire ce present à la Ville, qui comparoissoit là en la forme dune Vierge, prosternée aux pieds de lEmpereur, & recevant avec reverence & humilité ceste Couronne quil luy donnoit. En la face de lEmpereur reluisoit une Majesté digne de lEmpire, & des marques des anciennes vertus de prudence, justice, vaillance, & douceur. Au visage de la Vierge apparoissoit une ravité sans affectation, assaisonnée dune singuliere humanité & courtoisie. Ses habits de diverses couleurs donnoyent du lustre à tout le theatre, & une non petite recreation aux yeux des spectateurs. Car le blanc, le violet, le jaune, lincarnadin, le verd, lescarlatte, & autres couleurs gayes y estoyent entremeslées avec une merveilleuse grace. Mais il ne sy voyoit point de noir, de minime, ny de semblables couleurs tristes & de mauvais augure.
Jamque aliis adfers, jam tibi lucra refers. Amstela, qui nostri fulsisti pondera belli, Cum mihi plus uno surgeret hoste labor. [fol. K2v, p. 76] (5) Seu Venetus gravis esse mihi, seu Flandria vellet, Et Dominum Brugae detinuere suum. Accipe Caesaream, regni diadema, Coronam, Accipe virtutis praemia digna tuae. Haec fulvos inter radiet spectanda Leones, (10) Posteritas isto pergat honore frui. Classibus imperitas pelago. tua, nostra Corona est, Nostra solo latè fulgida, vestra salo.
Qui enrichis autruy de lun & lautre monde, Amsterdam qui soustins & portas le fardeau Des guerres que plusieurs me livroyent de nouveau; (5) Lors que le Venetien mopposoit ses armées, Que Bruges me tenoyt dans ses portes fermées. Reçoy dons de ma main ceste Couronne cy, Present digne de moy, de ta vertu aussy. Quelle esclatte au milieu des griffes acerées, (10) De deux grands lions roux, durant plusieurs années. Ta Couronne est la mienne, & ton heur mon bandeau: La mienne luit en Terre, & la tienne sur leau. Du costé meridional de lIsle fut representé, en cinq Scenes, lEstat de la France, troublé sous HENRY III, & restauré sous HENRY IV. En la Premiere Scene la France se voyoit sous la figure dune femme qui pleure & se lamente, le globe & Empire de laquelle estoit embrasé par le funeste flambeau de lenvie des Princes, combattans à qui lemporteroit. Bacchus, Ceres, Pomone, Flora, & autres Deitez, ayans la cognoissance dune si grande [fol. K3r, p. 77] douleur & misere, se condouloyent à la povre France ant affligée. Venus mesme, montée sur son char tiré par des colombes, estoit touchée du sentiment de ceste calamité publique. Hercule, couché par terre aupres de la France, voyant son funeste & lamentable estat, couvoit une grande douleur au profond de son coeur. Ces venerables Divinitez de Paix & de Iustice, gisantes par terre, estoyent exposées au mespris & risée dun chacun. La face de la France, & de toute lEurope, estoit representée par un Globe fendu & embrasé, lors que la France estant miserablement deschirée en divers partis, & les Princes de ce Royaume avec ceux de lEurope bandez les uns contre les autres, le Roy HENRY III fut mechamment assassiné. Alors cest Atlas François comme defaillant, & nayant plus les forces de soustenir un si pesant fardeau, laissa la France en doute qui seroit capable de prester lespaule pour appuyer cest Empire branslant. A quoy prenoit attentivement garde lHercule restaurateur de la France ruinée, asçavoir HENRY DE BOURBON Roy de Navarre. Mais lestat de ce Royaume estant troublé, cependant que la campagne est couverte de soldats & darmées, cest fait de la felicité des laboureurs, de Ceres, de Bacchus, de Pomone, & dautres Deitez qui fleurissent durant la Paix. La Concorde, qui lie & conjoint les affections des peuples, est bannie, & la voix des sainctes loix ne se pouvant faire ouyr parmy le bruit des armes, Astree la derniere des Dieux abandonne la terre. La Seconde Scene ramena encor la mesme France sur le theatre, priant à genoux les Dieux, de voiloir secourir la France desolée & descirée en tant de par- [fol. K3v, p. 78] tis, relever ses ruines & la fortifier de leur divine assistance en ses foiblesses.* Iupiter eminent entre ses Dieux, dune main faisoit signe à Hercule, & de lautre à Mercure, donnant commission à cestuy-cy de procurer que Hercule, cest à dire HENRY IV, fust employé à la restauration du Royaume de France. Car HENRY III, se mourant & ses forces luy defaillant, en presence des principaux Seigneurs & officiers de la Couronne, avoit resigné son Empire au Roy de Navarre, leur parlant en ceste sorte: Cest à vous de defendre vostre Roy legitime, & sil vient à defaillir, den donner au Royaume un qui luy soit propre. Vous avez le Roy de Navarre, qui est le premier Prince du sang, & constitué en une eminente dignité, lequel si lordre dune legitime succession nappelloit point à la Couronne, devroit regner apres moy, à cause de lautorité quil a en larmée. Cest un Prince de tresbon naturel, & qui a une grande experience. Nagueres contre ladvis de plusieurs il a esté reconcilié avec moy, par une inenarrable providence de Dieu, conduisant sagement toutes choses, & semble avoir esté eslevé au pouvoir quil a en ceste armée pour appuyer par sa vertu la fortune branslante de ce royaume. Si vous desirez conserver le Royaume, rendez luy lobeyssance que vous devez. Si la fidelité nobtient point cela de vous, considerez que vostre propre peril le requiert. La troisieme Scene introduisoit cest Hercule, conduit par Mercure. Par le commandement des Dieux, Mars & Pallas luy offroyent leur secours pour soustenir le Monde. Cestui-là promettoit de lassister de ses armes, ceste-cy de son conseil & prudence. Ce qui [fol. K4r, p. 79] se faisoit en la presence de lauguste assemblée des Dieux qui les regardoyent. La Quatrieme Scene a veu Hercule occupé à un si grand oeuvre, & remettant au niveau en leur place les Poles qui en avoyent esté arrachez. En quoy il estoit assisté du secours de la Vaillance, & Prudence, comme aussi de la Clemence & Vigilance; qui ont esté les vertus particulieres de HENRY le Grand. La Cinquieme Scene monstroit la France sauvée & restablie en son entier, & le Monde appuyé fermement sur les espaules de lHercule François. Car estant parvenu à la Couronne, & ayant pacifié les querelles & les guerres, par lesquelles le repos de son Estat avoit long temps esté troublé, il mit en oubly toutes les injures quil avoit receuës, & usa dune merveilleuse douceur & clemence à lendroit de ses plus aspres ennemis. Ce qui luy a acquis une gloire immortelle, un paisible repos à ses voisins, une paix asseurée à ses subjets, & a servi à restablir la Iustice en son siege, & rendre la tranquillité à toute lEurope. De la gloire & vertus duquel LOUYS XIII estant heretier, & suivant les traces paternelles, se monstre digne successeur dun si grand & excellent pere & comme un autre Alcide, assisté du secours de Dieu, soustient sur ses espaules, sans bransler ny varier, le mesme Globe, par sa force, conseil, & sage conduite en paix & en guerre. [fol. K4v, p. 80]
Adspicit, & regni vincula rupta sui, Commissosque Duces, adversosque ensibus enses, Et fossum Regi proditione latus: (5) Ingemit excussos tantis cervicibus axes, Dimotosque sua de statione polos. Sic afflicta Jovem precibus, Divûmque lacessit Numina, & ex alio lurida poscit opem. Stant juxta Pomona, Ceres, Liberque, Venusque, (10) Quasque Deas belli vis malesana premit. Condolet atratae Superûm clementia turbae, Dumque cupit Gallis consuluisse suis: BORBONIUM lapsis Druidum succurrere rebus Poscit, & his humeris pondera tanta geri. (15) Succurrit Regi Pallas Sapientia, Mavors Auxiliatrices commodat ipse manus. His Ducibus dum bella gerit, dum mitigat hostes, Integra speratâ Gallia pace coït: Et valida Mundum fulcit cervice Navarrus, (20) Seque polos aptè restituisse videt. Tunc regno sua parta quies tunc rura, penateis, Templa, foci, vultus exseruere novos. Pax rediit, scandit neglectum Astraea cubile, Et reduces priscâ sede stetere Dii. (25) Hoc Spectacla docent. ubi fracti conditor Orbis, Alcidae HENRICUS nomen onusque gerit. [fol. L1r, p. 81]
Du Monde deschiré par les guerres civiles, Ses Princes furieux lun à lautre opposés; Son Roy assassiné, & en trouble ses villes. (5) Gemit de voir ainsi abattus ses aissieux, De dessus un tel dos & si fermes espaules; Lamente regardant transposés de leurs lieux, Les gonds de lUnivers sur qui roulent les Poles. Au milieu des douleurs dun si triste accident, (10) Elle offre à Iupiter sa tres-humble requeste; Elle invoque les Dieux, & les va suppliant, De preserver son chef des coups de la tempeste. Elle est environné & paroist au milieu, De Ceres, de Bacchus, de Venus, de Pomonne, (15) Et les divinités que lon void en ce lieu, Plongées dans le dueil que la guerre leur donne. Les Dieux meus à pitié de la rigueur du sort, Desirans secourir ceste troupe affligée, Envoyent de BOURBON pour soustenir leffort, (20) De ce fardeau tombant, dont elle est menacée. La prudente Pallas laide de son conseil, Mars luy preste par tout son bras & son espée: Combattant sous tels Chefs, dun courage pareil, La France il reunit par la Paix desirée. (25) Et le Grand NAVARROIS soustenant vaillamment Tout ce vaste Univers sur ses fortes espaules, Void quil a bien remis le Monde fermement, En son premier estat, & lEmpire des Gaules. On vid lors le Royaume en repos & heureux: (30) Les temples, les maisons font meilleur visage: [fol. L1v, p. 82] La Iustice & la Paix, comme aussy tous les Dieux, Retournent en leurs lieux selon lancien usage. Cest ce quenseignent tous ces Spectacles divers: Quand HENRY de BOURBON plein de force & prudence, (35) Restaurateur du Pole & de cet Univers, Prend dHercule le nom, le faix & la vailance. Les rideaux tirez ayans desrobbé ces mysteres aux yeux des regardans, on passa des Spectacles de la Scene aux Exercices & au Combat naval. Nous resgardasmes les premiers avec un front grave; mais ceux-cy dun visage allegre & riant. Entre les jeux & esbatemens du Cirque Romain, la representation de Combat naval sur la mer, ou sur une riviere, ou en un lac, ne tenoit pas des derniers rangs. Auguste, qui a surpassé tous les autres en la frequence & magnificence de ses Spectacles, representa un combat naval sur le Tibre, Neron sur les eaux quil avoit fait venir de la mer voisine, & Domitian en lAmphitheatre mesme. Cesar, ayant creusé & fait un lac au mont Coelien, y donna le passetemps du combat des galeres de Tyr & dEgypte. En nostre riviere les combattans estoyent dix des enfans de Neptune, qui sont des gens endurcis aux vents & au mauvais temps, ayans tous des habits de toile blanche, & des bonnets rouges, sur lesquels y avoit des plumes de coq, qui est entre les oiseaux lanimal le plus aspre de tous au combat. Ils se tenoyent tous debout sur la pouppe, & se regardoyent lun dun visage refrogné, comme sil se fust agi dun royaume. Pour armes ils avoyent des lances sans fer, ou des perches, lequelles ils tenoyent contre leur poincture prestes à choquer [fol. L2r, p. 83] leurs ennemis, les uns & les autres ramans avec une merveilleuse diligence pour ce rencontrer. Cela fut plaisant & trompa lattente des spectateurs, que nos soldats, au lieu de sattaquer au combat à la premiere rencontre, come on se promettoit, baisserent leurs armes & sentresaluerent amiablement. Apres cela on se battit rudement, en forme de duel, ou par fois le hazard estoit esgal des deux costés, les combattans se culbutans lun lautre en la riviere: par fois lun estant renversé, lautre demeuroit, comme triomphant, sur la pouppe: par fois aussi ils ne satteignoyent point, mais gardoyent chacun sa place. Le combat ne finit point que tous neussent esté victorieux, & tous vaincus à leur tour, & fait la culbute dans leau. Les spectateurs ne se pourvoyent tenir de rire, voyans la luicte de ces matelots. Un grand cry, tesmoin de la faveur quon leur portoit, perçoit les rues & montoit jusquau ciel. Alors la Reyne Mere mesme, ralaschant un peu de son ordinaire majesté, pouvoit sans pecher contre la bienseance, sousrire à ces plaisans esbats. On dit que Iupiter se prit à rire quand il precipita Vulcan du ciel. Questce donc de merveille, se Sa Majesté, sans penser à sa gravité royale, a regardé dun visage un peu plus allegre que de coustume le combat de ces jeunes matelots? Nous lisons quAchille a entremeslé parmy les armes lexercice de la harpe, de laquelle il joüoit pour recreer son esprit fatigué des soucis de la guerre, ou offencé de quelque injure. Ces Grecs mesmes, & Romains, domteurs de lUnivers, foudres de la guerre, la terreur & la tempeste de la mer, se rouvans es theatres & spectacles environnez dune multitude de peuple, ne se son point souvenus quils [fol. L2v, p. 84] estoyent Empereurs. Par fois ces excellens personnages, capables de si grands conseils, sabbaissent à des petites choses & recreatives, pour assaisonner de quelque allegresse le chagrin quapportent les affaires. Ie confesse que cecy nestoit que jeu, non pas un serieux combat. Car la cruauté des Romains ne peut estre approuvée, qui prenoyent plaisir à voir leurs esclaves sentretuer & massacrer les uns les autres. LAmstel sestoit acquitté de sa charge, lors que le jour declinant vers le soir, on sen alla, avec une merveilleuse promptitude de rames, dans la riviere dY, une infinité de barques suivans celle de Sa Majesté: lesquelles voulans passer sous les arches des ponts tout à la fois, par leur trop grande precipitation se boucherent le chemin les unes aux autres; & mirent presque en peril les moindres fustes & plus legeres, qui, empressées de costé & dautre, furent rudement choquées. La barque de la Reyne, faisant plus de diligence, avec quelques autres, laissa derriere foy la flotte des plus tardifves, & se rendit dans lY par lescluse de S. Antoine. LY en tirant du Couchant au Levant par un grand & spatieus canal, à cause que le rivage de golfe Meridional est tout rongé par la longue espace de temps, ayant pressé le costé Septentrional de la Ville, fournit un havre commode aux Navires. Tout ce costé, muni de double rangée de pieux, à lencontre de la violence des vagues, sert de ferme rampart à la Ville, les pieux se touchans les uns les autres, comme si cestoit une muraille. En cest endroit la Reyne vid un lieu enfermé entre le rivage & ce clos de pieux, lequel on appelle le Wael, où les [fol. L3r, p. 85] Navires eschappées des tempestes de la mer, passent lhyver, & demeurent en seureté jusquau Printemps. De lautre costé il y a une grande place, où se font des Navires de charge pour la Compagnie des Indes Orientales, & où lon raccoustre celles qui sont rompues. La Reyne y jettant les yeux en passant, apperceut une Navire nouvellement mise dans leau, telle que sont celles où dordinaire on apporte les riches moissons & revenus de lOrient. Cest la coustume de donner des noms aux Navires pour les descerner, comme le pratiquoyent aussi les anciens. Sa Majesté estant priée par les Bourgmaistres de donner un nom à ceste Navire, qui se preparoit pour faire voile en un pays lointain, luy inposa celuy de MARIE DE MEDICIS, priant Dieu quil luy donnast un heureux voyage. Pourtant ceste Navire peut maintenant dire: Sum MARIA, & MEDICESdatur appellatio, quae si Non sunt servantis verba, saventis erunt.
Noms tesmoins suffisans de la faveur nouvelle Dune Mere de Roys. Que les autres Navires se glorifient des enseignes de Neptune, de Triton,des Sirenes; les autres des noms de Villes dont elles sont premierement parties; que les autres portent depeints en leurs pouppes des Lions, des Tigres, des Chiens de chasse, des Dragons, ou bien les images du Soleil ou de la Lune, les autres facent parade de la magnifique inscription de [fol. L3v, p. 86] leurs provinces; les autres empruntent leurs noms des Princes de ce pays. Ceste cy la premiere & lunique sous le nom de MEDICIS, comme sous son propre Astre, à la garde de Dieu fera voile es provinces, où la cupidité du gain & de la gloire, qui possede les coeurs des mortels, ne pouvant passer plus outre, est bornée de mesmes limites que le cours du Soleil. Puis apres se presenta aux yeux de la Reyne, poursuivant en sa navigation, la Ville estendue en une tres-grande largeur, où ça & là sur la rive du fleuve paroissent des hautes tours, & entredeux des belles rangées de maisons, preque sans interruption. Icy Elle vid des flottes de Navires se reposans à lancre, qui occupoyent une longue espace, & ressembloyent à une tres-espaisse forest. Ce sont celles là qui servent à nos avides marchands, qui fuyent la povreté par la mer, par les rochers, & par les feux, pour courir jusques aux extremitez du monde, voire au de là des Tropiques & du cours annuel du Soleil. Les Navires de guerre estoyent pesle-mesle avec les paisibles marchandes, les armées avec celles de charge, les couvertes avec les descouvertes, les Admirales & Capitainesses avec celles qui servent à faire le guet. Il y avoit aussi une grande flotte à la voile, de ces barques de plaisir, qui deux jours auparavant avoyent attendu la Reyne, enrichies de belles banderolles, lesquelles occupoyent une bonne partie de lY. Quant aux grands Navires, les uns sont destinez aux voyages dItalie, de Cypre, dEgypte, de Syrie, de Grece, de Venise, les autres trafiquent en France, Angleterre, Escosse, Irlande, Allemagne, Dannemarc, Norwege, Suede, Poloigne, Prusse, Moscovie, & Groenland; les [fol. L4r, p. 87] autres entreprennent des longues courses en la Guinée, Perse, Arabie, Indes deça & delà le Gange, es Isles Orientales, & en la Chine & au Iapon, qui sont aux extremitez dAsie; les autres navigent en la partie opposée du monde, sçavoir est au Bresil, en la Nouvelle Belgique, en la Nouvelle Espaigne, & traversent les destroits de Magellan & du Maire, ainsi appellés du nom de ceux qui les ont premierement descouverts, pour busquer fortune, ou sous les enseignes de Mars, ou sous celles de Mercure. Les uns servent à apporter des toiles, du sel, des vins, blancs & clairets, des huiles, du papier, des laines, du plomb, de lestain, de la biere: les autres, du miel, de la cire, du froment, du salpetre, du verre, des vins de Rhein, des peaux & fourrures, & des bois à bastir, ou pour faire de la menuiserie: les autres de draps, de la soye, des perles, & de la Malvoisie, du soulphre, de la rheubarbe, de la mommie, de la casse, de la tutie, du cotton, du ris, de la poix resine, de la poix noire, du godran, des ceindres à faire la lexive, de la terre de foulon: finalement toutes sortes de drogues & espiceries, poivre, giroffle, canelle, encens, myrrhe, bausme, &c. La Reyne considera non sans estonnement ces grands ventres creux, dans lesquels on apporte & emporte de ceste Ville les richesses de lUnivers. Elle vid des chasteaux à voiles nageants sur les eaux, garnis de plusieurs rangées de Canons, avec lesquels nous allons contre les Espagnols, Portugais, Dunkerquois, & Mores, & leurs faisons une rude guerre. Cependant que sa Majesté se pourmene sur cest element liquide, on descharge lartillerie de tous les endroits de la Ville: Elle ne trouva rien de plus rare, ny [fol. L4v, p. 88] de plus admirable que ce Spectacle des Navires, qui est particulier à ceux d Amsterdam. Car ces grandes flottes sont les murailles de bois, avec lesquelles le prudent Themistocle entendit autresfois, que loracle dApollon vouloit que la Grece fust defendue. Un Consul Romain en son harangue pour Flaccus, en recommande le soin aux Republiques, non seulement pour la defense & le trafic, mais aussi pour lornement de leur Empire. Thucydide dit que cest à faire à des grands Princes, de pourvoir quil ny ait aucun peuple qui les surpasse en multitude de Navires. Sinon, quils recerchent lamitié & alliance de celuy qui est le plus fort sur mer, pource que lempire de la mer est de tresgrande importance, la guerre terrestre estant plus facile à ceux qui sont exercez en la maritime & navale. Sa Majesté sestant assez pourmenée sur lY, du costé quil arrouse la Ville, suivie de la flotte des barques de plaisir, en fin Elle rentre dedans, prenant son chemin par les Salines, & puis par le Canal du Prince, & ainsi sur le soir se rend en son Palais, estant tousjours accompagnée de quatre Bourgmaistres. Cependant que le Senat, les Bourgmaistres et bourgeois font telles solennitez à la Reyne, les poëtes ne se taisent pas, ains celebrent à lenvy les louanges de ceste grande Mere de Rois en vers Latins, Italiens, François, & Flamens; dont les uns plus tost, les autres plus tard ont esté mis en lumiere, & semez par toute la Ville, remplissans les boutiques des libraires, & les avides mains des lecteurs. Les Iuifs mesmes pour rendre une preuve de leur affection envers la Reyne, luy presenterent des mets apprestez à la mode de leur nation, avec du pain sans levain. Quand sa Majesté [fol. M1r, p. 89] prenoit ses repas, tant de gens y accouroyent, que par fois il sembloit que toute la ville entroit en son Palais, & que derechef toute la ville en sortoit; luy tesmoignant autant daffection que si ceust esté la propre Dame & Princesse du pays. Il ne faut point icy passer sous silence, quen tout cest appareil des Arcs triomphaux, Spectacles, Representations, & structure de lIsle flottante avec une promptitude digne dadmiration, le Sieur Samuel Coster, Docteur en Medicine tres-experimenté, fit paroistre sa grande industrie, esprit & diligence; comme aussi le Sieur Iean Victorin Advocat, qui de son costé semploya à dresser ces pompes & spectacles avec un soin, allegresse, & invention singuliere. Le Samedy on se reposa de ceste plaisante agitation, & tempeste des trois jours precedens, & le peuple se tinst coy. Apres midi, la Reyne sestant desfait de ses gens & les ayant envoyez qui çà qui là, print un autre carrosse moindre que le sien ordinaire, & y monta sans bruit, puis salla pourmener par les rues de la Ville, entra en plusieurs boutiques, marchanda des porcelaines & autres marchandises, rabbatit du prix quon luy demandoit & adjousta à ses offres, comme on a de coustume de faire en achetant, respondit familierement aux demandes des marchands, sans soffenser des paroles qui pouvoyent estre moins dignes de sa grandeur. En quoy faisant Elle sembloit plustost estre une marchande quune Reyne. De mesme que Pallas en Homere estant arrivée en Ithaque, dissimula quelle estoit Deesse & print lhabit dun marchand. Ceste tresage Reyne avoit sans doute appris de lEmpereur Adrian, [fol. M1v, p. 90] que les Princes ne doivent pas retenir par tout leur Majesté, & quil ne faut point envier ce contentement aux Roys, de se pouvoir abbaisser quand il leur plaist, pour deviser humainement avec des personnes de la plus basse condition. Sur quoy on rapporte que Plotine femme de lEmpereur Trajan, entrant dans le Capitole, se tourna vers la multitude & dit: Telle que jentre icy, jen desire aussi sortir: signifiant par ces paroles quelle vouloit converser familierement & sans fast avec un chacun, non moins en la maison de lEmpereur, que hors dicelle & devant quy estre entrée. [La Reyne promet son pourtraict au Bourgmaistres.] De ceste mesme humanité est procedée la promesse quElle a faite à Messieurs les Bourgmaistres dAmsterdam, de se laisser retirer, ce quElle permet tresrarement, & leur donner son pourtraict; pour cest effect se faisant peindre à la Haye par le tres-excellent peintre Honthorst, & leur laissant ce present en memoire eternelle du bon accueil quils luy ont fait. On a resolu de le placer en lHostel de Ville, à costé du pourtraict de lEmpereur Charles V, son grand oncle, avec ceste inscription: Sic ivit nostram grandis MEDICEA per Urbem, Sceptrorum Mater suspicienda trium.
La grand de MEDICIS, Mere dune famille De trois Roys trespuissants. Sa Majesté estant retournée au Palais du Prince, les XVII personnages qui ont la supreme admini- [fol. M2r, p. 91] stration & maniement des affaires de la Compagnie des Indes Orientales, vindrent la trouver & recommander à sa Royale faveur & protection, par le Sieur Theodore Tholing, alors President, & autres Deputés dudit Conseil des Indes, le trafic & negoce que la dite Compagnie exerce en plusieurs Provinces & Royaumes de lOrient. Et luy firent un present des choses plus rares & exquises de leur maison, comme de vaisselles de porcelaine, des plus magnifiques coffres du Iapon, enrichis & bigarrez dune tresagreable façon, de laque, dor & de nacre de perle. Les Princes, & ceux qui à cause de leminence de leur Majesté ont le droict dabsoudre les criminels, ont accoustumé à leur arrivée en quelque lieu, quand ils en sont priez, de desployer leur clemence. La Reyne Mere en a fait de mesme, obtenant grace de la Iustice dAmsterdam, à un prisonnier, qui estoit en danger de sa vie, pour avoir tué quelcun dun coup de pierre. Le Dimanche estant venu, auquel la Reyne avoit resolu de sen aller. Elle se prepare à son voyage. Les Bourgmaistres sçachans cela, luy voulurent rendre les mesmes honneurs à son depart quils avoyent fait à son entrée. Par leur ordonnance la troupe de Cavalerie, armée & vestue avec la mesme pompe quil a esté representé cy dessus, se tint preste & vint vis à vis de son Palais, pour la conduire. Et dentre les compagnies de bourgeois cinq cens harquebusiers furent choisis, qui sen allerent lattendre en belle ordonnance sur le Dam, & laccompagnerent jusque à la porte de Harlem, par où Elle devoit pas- [fol. M2v, p. 92] ser. [Les Bourgmaistres disent Adieu à la Reyne par la bouche du Pensionaire Boreel.] Mais devant que la Reyne sortist du Palais du Prince, les Bourgmaistres la vindrent trouver pour prendre congé dElle. Le Sieur Guillaume Boreel Pensionaire porta derechef la parole, & luy dit: SERENISSIME REYNE, [Le depart de la Reyne.]Puis quil plaist à Vostre Majesté de rompre son sejour, & se separer de ceste Ville, Messieurs les Bourgmaistres & Regens icy presens la supplient tres-humblement, quil luy plaise davoir pour agreables les demonstrations dhonneur & de bienveuillance, que loccasion presente & briefveté du temps ont peu permettre luy estre faites, comme estans procedées de leurs plus sinceres affections envers V. M. Laquelle aussi a veu, comment tout ce peuple sest resjouy de sa Royale presence; & sen resjouyt encor de telle sorte, quil ne se peut assouvir de la regarder. Ceste maison que V. M. void, a esté de tout temps le lieu ou nos bons Princes ses Ayeuls, ont fait leur residence, estans en ceste Ville. Nous nous les representons encore en laspect & contemplation de vostre face Royale. Entrautres lEmpereur MARIE DE MAXIMILIAN, bisayeul de V. M. lequel nous a voulu particulierement honorer, embellissant les Armoiries de ceste Ville dune Couronne Imperiale pour timbre, il y a cent cinquante ans. Permettez, MADAME, que nous recognoissions encore aujourdhuy ce Royal benefice en la personne de V. M. laquelle comme Elle a daigné nous venir voir, & se resjouyr de la presente prosperité & accroissement de ceste Ville, aussi trouvera bon sil [fol. M3r, p. 93] luy plaist, quen laspect de la dite Couronne Imperiale, comme dun autre Iris ou Arc en ciel, nous nous puissions asseurer, quà jamais V. M. continuera ses Royales faveurs envers ceste bonne Ville, ses affaires, & son commerce: qui est ce dont nous la requerons tres-instamment. Ainsi ceste Ville demeurera pour tousjours tres-estroittement obligée à Vostre Majesté, comme aussi Messieurs les Bourgmaistres & Regens, qui la supplient quil luy plaise les advouër à jamais pour ses tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs. Le Pensionaire ayant achevé sa harangue, la Reyne espondit dun visage gay & allegre; Quelle avoit autres-fois ouy dire beaucoup de choses de la beauté & magnificence de ceste Ville, mais que maintenant Elle recognoissoit que sa renommé estoit beaucoup au dessous de la verité: quElle souhaittoit tout bonheur & prosperité à la Ville & aux habitans: quElle avoit tousjours porté une singuliere affection à ceste Republique & aux Seigneurs dicelle, quelle continueroit encor à ladvenir, & que, les occasions sen presentans, Elle ne manqueroit point de procurer le bien & profit de la Ville: quElle embrassoit dun reciproque amour & bienveuillance, laffection & bonne volonté que les Bourgmaistres luy avoyent demonstrée, & autres telles choses quElle dit prudemment & gravement à ce propos. selon son eloquence accoustumée. [Et aussi à la Princesse dOrange.] Les Bourgmaistres partis de là, sen allerent dire Adieu à la tres-illustre Princesse dOrange, & avec la reverence & submission deuë, luy firent offre de leurs tres-humbles services, tant en leur nom particulier, [fol. M3v, p. 94] que de toute la bourgeoisie & habitans. Cependant les rues, carrefours & places publiques resonnoyent du bruit du peuple y accourant de toutes parts. Lardent desir que tous avoyent eu de voir entrer la Reyne, ne sestoit pas encor refroidi quand Elle partit. Mais Elle de peur de troubler la devotion publique, par des nouveaux mouvemens & plus long sejour, monta en carrosse sur les neuf heures & sen alla. Comme Elle passoit devant lHostel de Ville, les Bourgmaistres luy dirent derechef Adieu. Et la Reyne ayant dit dun visage gay que la bienveuillance des Bourgmaistres envers Elle, dont Elle avoit eu tant de preuves, luy estoit tres-agreable, passant par la Neufve digue, sortit de la Ville par le mesme chemin quelle y estoit entrée, & estant accompagnée de la troupe de cavalerie prit son chemin le long de la mer. Comme Elle fut environ à une lieuë de la Ville, le Sieur de Petthem conducteur de ceste bande, luy dit le dernier Adieu en ces mots: MADAME, Nous voicy presque aux limites de la Iurisdiction d Amsterdam. Nous remercions Vostre Majesté de tout lhonneur quElle a daigné faire à ceste Ville, & à nous qui luy sommes allez au devant à son arrivée, & la reconduisons maintenant en son retour. Cest lordre que nous avons receu de Messieurs les Bourgmaistres & Regens de la Ville, daccompagner aussi loin V. M. quElle nous commandera. Ce que nous ferons allegrement, & de toute nostre affection; la supplians de vouloir disposer de nous, comme [fol. M4r, p. 95] de ses tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs. La Reyne respondit quElle remercioit Messieurs les Bourgmaistres de tant de tesmoignages de bienveuillance, & la troupe de cavaliers de la bonne compagnie quelle luy avoit tenu: quil estoit temps de sonner la retraitte, & quelle sen retournast en la Ville. Sur cela le Sieur de Petthem prenant congé de la Reyne, & luy souhaittant un voyage heureux & treslongue vie, sen revint à la Ville avec toute ceste belle cavalerie. Elle usant de diligence, passa Harlem, & sur le soir se rendit à Leyde; où Elle fut receuë par le Senat, Bourgmaistres, & bourgeois, avec les honneurs deus à sa grandeur; & ny ayant demeuré quune nuict, arriva le lendemain en bonne santé à la Haye. Cela est memorable & digne de remarque, que le mesme jour que Sa Majesté partit d Amsterdam, le Roy de France LOUYS XIII, acquit le tres-desiré nom de Pere, la Reyne son espouse celuy de Mere, & Elle celuy de Grand Mere, par la naissance dun Dauphin que Dieu a donné* à la France. A la mesme heure quElle sortoit de ceste grande Ville, vint au monde un tres-Auguste enfant, heritier de ce beau royaume. Le temps qui nous osta la Reyne, donna aux François son petit Fils, apres une attente presque hors despoir, de vingt ans & davantage. Heureuse sortie, avec laquelle comme par la conspiration des destins, sest rencontré lentrée au monde dun enfant tant desiré. Ce grand & nouveau hoste du Monde, & qui un jour, si Dieu le permet, gouvernera par lequité de ses loix, la Monarchie Françoise, a salué le monde, au temps que ceste tres-illustre hostesse dAmsterdam & la plus digne Fem- [fol. M4v, p. 96] me qui soit jamais entrée dans ses portes, a dit Adieu à une Ville qui est comme la boutique & le magasin de tout le monde. Pour finir par les voeus: Ie prie le Souverain, que par sa divine Clemence il conserve, protege & defende la Reyne Mere, maintenant devenue Grand Mere; le Roy LOUYS son fils, à ceste heure Pere; la Reyne regnante, aussi Mere; & Monsieur le Daulphin, nay pour le bien & resjoyssance commune de la France & de toute lEurope; à ce quils facent des choses dignes destre à tousjours loüées par leurs subjets & Alliez, & que ceux-cy ne cessent jamais de les louër & magnifier. Par ce moyen il arrivera, que les playes du corps de lEurope & de la Chrestienté, miserablement deschiré par tant de sanglantes guerres, se rejoindront quelque jour, sous lheureuse conduite de ces mesmes Rois & Princes; & que la paix estant restablie, on verra encor ce corps florir, saccroistre & fortifier. Grand DIEU Eternel, ottroye ce benefice, à nostre chere Patrie, aux Rois, aux Peuples, & à ton Eglise.
Alteraque exurgunt, altera lapsa cadunt: Perque vices radians stellis variantibus aether, Nunc hoc, nunc illo mutat in orbe faces: (5) Talis ab Amsteliis dum se Fax Itala terris Subtrahit, atque suum flectit ab Urbe jubar: [fol. M5r, p. 97] Ecce procul Druidum in terris Phoebeïa surgunt Lumina, & haeredem dissita regna vident. Una eademque dies Regalem lampada vidit (10) Nascier, una aliam vidit abire dies. Amstela sic abitu doluit, sed Francia partu Totaque Delphino Gallia laeta fuit. Vive nepos MARIAE, & quae jam tibi Lilia crescunt, Prospera sint Gallis, prospera sint Batavis.
Dans ce pourpris dazur, si brillans & si beaux, Les uns sur lHorizon, dautres plongés sous londe, Tantost reluire icy, tantost en lautre monde: (5) Ainsi tandis quon void se retirer dicy Le Flambeau dItalie, & laisser leau de lY, On apperceut bien loin sur des bords de la Seine, Un Soleil se lever, qui les coeurs rassereine. Un mesme jour a veu un Astre se lever (10) La mesme a aussy veu un autre se coucher. Ainsi couvrit ses bords tout lAmstel de tristesse, Lors quil vit le depart de ceste grand Princesse: Mais la France admirant son Dauphin glorieux, Pour tesmoigner sa joye, alluma tous ses feux. (15) Vivez, vivez long temps petit fils de MARIE, Vivez, vivez content le cours de vostre vie. Que vos Lys fleurissans soyent heureux aux François, Que vos Lys soyent un jour heureux aux Hollandois.
[fol. M5v-M6v, p. 98-100: blanco] |
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