Marie de Médicis entrant dans Amsterdam, ou, histoire de la réception faicte à la Reyne-Mère du Roy très-Chrestien, par les bourgmaistres et bourgeoisie de la ville Amsterdam, traduicte du Latin de Gaspar Barlaeus. Amsterdam, chez Jean et Corneille Blaeu, 1638.
Vertaling van Barlaeus’ Medicea Hospes, sive descriptio publicae gratulationis, qua Serenissimam, Augustissimamque Reginam, Mariam de Medicis, excepit Senatus Populusque Amstelodamensis. Amsterdam, 1638, Petit 67 Petit 67bFacsimile bij Ursicula
Uitgegeven door drs. G.C. van Uitert
Red. dr. A.J.E. Harmsen, Universiteit Leiden

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[
fol. A1r, p. 1]

MARIE

DE MEDICIS

entrant dans Amsterdam,

ou,

HISTOIRE

DE LA RECEPTION

faicte à la

REYNE-MERE

du Roy tres-Chrestien,

Par les BOURGMAISTRES & Bourgeoisie
de la Ville Amsterdam.

Traduicte du Latin de GASPAR BARLAEUS.

[Vignet: Stadswapen van Amsterdam]

A AMSTERDAM,

Chez JEAN & CORNEILLE BLAEU,

M D C XXXVIII.



[fol. A1v, p. 2: blanco]
[fol. A2r, p. 3: Portret van Maria de Medicis]
[fol. A2v, p. 4: blanco]
[fol. A3r, p. 5]

AUX

Tres-Nobles, tre-Magnifiques, & tres-Prudens
BOURGMAISTRES de la Ville d’Amsterdam:

MESSIEURS

ANTOINE OETGENS de Waveren, Chevalier, Sieur de Waveren, Bochtshol, Rugewillis, &c.

ALBERT CONRAD BURGH, cy devant Ambassadeur vers le Grand Duc de Russie.

PIERRE HASSELAER, Colonel de la gendarmerie de la ville.

ABRAHAM BOOM, cy devant deputé au Conseil d’Estat de Hollande.

MESSIEURS,
    Ce que Dieu est au ciel, les Princes le sont en la terre. Dieu ne porte l’image d’aucun, pource qu’il n’a son estre d’aucun. Ceux cy sont l’image de Dieu, pource qu’ils tiennent leur puissance de luy, Dieu n’obeit à personne, pource qu’il n’est inferieur à personne. Les Princes obeyissent à Dieu, pource qu’il n’y a que luy seul auquel ils soyent in- [fol. A3v, p. 6] ferieurs. La puissance de Dieu n’est bornée d’aucunes limites, pource qu’elle est divine. Celle des Princes, qui sont hommes, est enclose dans certaines bornes, qu’ils ne doivent point outrepasser. Dieu n’est assujetti à aucunes loix, pource que c’est à luy seul d’en donner aux autres. Ceux-cy sont obligez aux loix qu’ils ont receu de Dieu, & de la droite raison. Toutes choses sont gouvernées par la volonté, & puissance de Dieu, mesmes les Rois, les Reynes, & les Princes. Mais il n’y a que leurs subjets qui dependent de la puissance de ceux-cy. Dieu n’a personne qu’il honore & qu’il serve, pource qu’il ne doit rien à personne. Les Princes servent, & honorent un seul Dieu, duquel ils tiennent leurs Principautés & tout ce qu’ils ont. Les peuples portent honneur à leurs Princes: Mais tant les Princes que les peuples à Dieu. Le service qui est deu à Dieu procede de la religion, dont le propre est de lier estroitement l’ame à son Createur. Celuy qu’on rend aux Rois & aux Princes, est fondé en la pieté envers eux, qui est un peu inferieure à celle qui s’addresse à Dieu. Il y a plusieurs choses excel- [fol. A4r, p. 7] lentes au monde, qui ravissent en admiration par leur grandeur, sublimité & splendeur. Le Soleil, Prince des Astres, reluit au ciel, & attire à soi les yeux des humains, attendans de luy des saisons fertiles. La Lune à aussi y reluit, & toute ceste belle armée des estoiles. Ces corps celestes sont admirables, & presque venerables, à cause de leur lumiere, mouvement & secrettes influences. Mais ce monde inferieur n’ a rien de plus grand, ny plus relevé, ny plus illustre que les Princes. Le Soleil n’esclaire pas pour soy mesme, mais pour nous. Il se meut, afin d’avancer par son mouvement les commoditez des hommes. De mesme, les Princes ne vivent pas pour eux mesmes, mais pour leurs subjets, qui jouyssent & font esclairez de leur lumiere. Ils ne s’attribuent que le nom de Majesté, dont ils veulent que le fruict & l’usage revienne à ceux qu’ils commandent. Pourtant comme nous aimons & honorons Dieu , ainsi, quoy que d’une affection inesgale, faisons nous les Princes. Cela est deu à Dieu, comme au principe & à la source de tout bien. Et aux Princes, comme aux curateurs & administra- [fol. A4v, p. 8] teurs de si grands biens, & qui tiennent le second rang apres Dieu. Car on ne peut approcher plus pres de Dieu qu’en maintenant les hommes sous sa protection. C’est une chose royale d’estre eslevé par dessus les autres, mais encor plus, de leur apporter du profit & les conserver. Leur premiere vertu est de pourvoir au bien de leur patrie & de leurs alliez, & de donner la paix & tranquillité au monde. Le sentiment de ces choses est si profondement engravé es coeurs des humains, que toutes les fois qu’ils ont cest heur de pouvoir contempler l’auguste & majestueuse face de leurs Princes, ils pensent voir quelque Divinité sur la terre, & ne sont pas moins recreez de ceste rencontre, qu’on le seroit du lever & rayons de quelque Astre resplendissant. Ils desirent ardemment de regarder ceux dont ils sont benignement regardez. Ils se donnent entierement à ceux, qui tiennent que leurs subjets ne leur sont point esté donnez pour esclaves, mais pour en avoir le soin comme de leurs enfans: & ne veulent pas seulement que l’Estat leur serve, mais qui eux mesmes se voüent au service de [fol. B1r, p. 9] l’Estat. Ils embrassent avec veneration les gouverneurs de cest Univers, dont ils font une partie, & regardent avec estonnement les ruisseaux de la puissance divine qui sont respandus en leurs Princes. Donnez moy un Roy, ou si vous aimez mieux, une Reyne; combien qu’elle commande aux Indiens, ou aux Mores, ou aux Sabeens, ou aux Scythes, soit qu’elle soit courageuse & magnanime comme Semiramis, ou belliqueuse comme Tomyris, ou prudente & entendue à gouverner comme Tanaquil, ou amatrice de paix comme Placidia, nous serons tous excitez & esmeus au regard de ceste Majesté royale, & la reverence que nous luy porterons tirera de nous des volontaires offices d’honneur & de congratulation. Il n’est point besoin que je m’en aille fort loin pour chercher* des exemple de cecy: N’agueres est arrivée en vostre Ville la tres-Auguste Reyne MARIE DE MEDICIS, issue d’une tresillustre famille, qua a eu l’honneur d’estre conjointe par mariage avec le plus grand Roy de la Chrestienté, & dont les enfans possedent aujourd’huy les plus beaux Royaumes & Prin- [fol. B1v, p. 10] cipautez du monde. Vous l’avez receuë avec tout l’honneur & reverence possible, non seulement au nom de vostre Republique, mais aussi d’une affection particuliere. Vos bourgeois y sont accourus de toutes parts comme au lever de quelque nouvel Astre. Le reste du peuple s’y est porté avec une mesme affection, une mesme ardeur & allegresse. Vous avez monstré par là que vous aussi avez en reverence ces noms Augustes de Rois & de Reynes, & que vous cherissez ceux auquels Dieu, quoy que jaloux de son honneur, donne le nom de Dieux. Vous n’avez omis aucune sorte de devoirs, que l’estat present de vostre ville, ou l’opportunité du lieu & du temps, ait permis que vous luy rendissez. Vous avez fait honneur à une Princesse que vous recognoissez vous mesmes en avoir plus merité: de sorte que ceste reception ne tient pas lieu d’acquit, mais sert de recognoissance des obligations que vous luy avez. Ie ne feray poin mention des publiques. Celles qui vous touchent particulierement viennent de ses ancestres, lesquels ont ottroyé à vostre Vile des privileges & immunitez, qui [fol. B2r, p. 11] ont grandement contribué à son accroissement. Tout ceux qui ont veu la magnificence de ceste Entrée savent avec quelle joye & allegresse vous vous y estes portez, estans allez au devant de ceste Grande Reyne, non seulement à l’entrée de la ville, mais aussi bien loin hors des portes, luy ayans dressé çà & là des Arcs triomphaux, celebré des jeux à son honneur, & assemblé toute la gendarmerie de la Ville. Maintenant, par vostre liberalité & munificence, les absens, qui n’ont pas eu l’heur de voir ces spectacles, sont admis à leur contemplation. Ceste Reyne, qui est entrée en vostre Ville, les vient maintenant voir, & est aussi regardée & saluée ailleurs, par le moyen de cest escrit, & des tailles douces qui l’embellissent. Icy sont representez à leurs yeux les eschaffauts, les theatres, les flottes, la cavalerie, les compagnies des bourgeois, & les jeux, & tous ceux qui veulent, ont le contentement de les y regarder, comme s’ils y assistoyent eux mesmes. Il ne se peut faire que la lecture de ces choses soit desagreable, dont la veuë a esté si plaisante & recreative. Le discours [fol. B2v, p. 12] fait que cela demeure plus long temps engravé en la memoire qui n’estant point escrit demeureroit bien tost enseveli dans un eternel oubly. Ioint que plusieurs choses que chacun n’a pas eu la commodité de voir, estans maintenant recueillies en un, se laissent contempler de tous. Les argumens des Spectacles & des Emblemes, que peu de gens ont peu comprendre à cause des soudains changements des theatres, sont icy expliqués au lecteur hors de la foule & du bruit, & avec une telle briefveté que cependant rien de grand ou digne d’estre seu n’y est obmis. C’eust esté une chose superflue de s’arrester à ce qui est de moindre importance, qui a esté fait par diverses personnes, en divers lieux & moins publiquement. Une trop curieuse diligence est un abus de la diligence, tout cela estant retranché de la chose principale, qui est employé en des narrez moins serieux & son necessaires. Tout cest appareil, MESSIEURS, retourné à vous, pource qu’il est vostre. Ce dont vous estes auteurs est dedié à vostre nom. Tous ceux qui liront cest escrit, y recognoistront les monumens de [fol. B3r, p. 13] vostre magnificence, courtoisie, & bienveuillance a l’endroit de ceste tres-grande Princesse. Ils diront que ceux-la sont dignes de commander, qui lors qu’il importe à l’honneur du public, savent se monstrer magnifiques: la bassesse & chicheté estant mal seante à ceux qui tiennent le gouvernail d’un puissant Estat. Ie ren le dernier un tesmoignage en ce brief discours, de ce que la Reyne & son illustre suite, avec tout le peuple d’Amsterdam croyent unanimement, esperant que la grace qui luy manque, sera suppleée par vostre facilité & protection. Recevez de bon coeur, ce que vous avez fait de meilleur à l’endroit de la grande DE MEDICIS. Que mon effort & affection vous plaise, à vous qui avez eu l’heur d’agreer à une mere de Rois. Ceux qui gravent sur le cuivre les images des Rois & des Princes, s’ils ne peuvent par leur propre industrie meriter la bienveuillance d’autrui, l’obtiennent par la grandeur de ceux qu’ils ont representez. Ainsi parlant d’une Reyne, mere de Rois & petite fille d’Empereurs, on excusera mon discours s’il rampe par terre, [fol. B3v, p. 14] & ne s’esleve point au faiste d’une si sublime Majesté. Vous le verrez, lors que les affaires de la Republique vous en donneront le loisir. Ce que toutesfois je ne presse pas beaucoup, mais bien cecy, que tel que je me suis cy devant monstré envers vous & vostre Ville, vous croyez que je persevererai d’estre tandis que l’ame me battra dans le corps. Ainsi Dieu vous face prosperer à tousjours & vostre tresfleurissante Ville, suivant les voeux de celuy qui est

                MESSIEURS,

                                Vostre treshumble & tresaffectionne serviteur


                                                GASPAR BARLEUS.

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[
fol. B4r, p. 15]

MARIE DE MEDICIS

entrant dans Amsterdam:

OU

Histoire de la Reception

faite à la

REYNE MERE du Roy tres-Chrestien,

Par les BOURGMAISTRES & Bourgeoisie de la Ville d’Amsterdam.

[Preface.] AYant à descrire les sollennitez de l’entrée de la Serenissime Reyne MARIE DE MEDICIS dans la ville d’Amsterdam, je ne m’amuseray point à des louanges hors de propos, ny de sa Majesté Royale, ny de nostre Ville. Car tout ce que je pourrois dire d’excellent de ceste illustre Princesse, seroit au dessous de sa grandeur, qui a apporté la dignité de la maison d’Autriche, dont elle est issue de par sa mere, & la prudence & sagesse de celle de Medicis, qui est son estoc paternel, dans la famille des Bourbons & au gouvernement du royaume de France. Ce que j’en dirois de mediocre, s’esloigneroit de la verité, & ce que je luy attribuerois de grand seroit paraventure exposé à l’envie, ou sembleroit partir de quelcun qui luy est obligé. A vray dire, les Princes courageux souffrent plustost qu’on leur rende les devoirs d’une congratulation publique, qu’ils ne les recerchent, prenans plaisir à l’affection que leurs sub- [fol. B4v, p. 16] jets & alliez leur tesmoignent sans en avoir esté requis. Pourtant veulent ils qu’on use de moderation es discours qui sont consacrez à leur honneur. Qu’il me soit permis de dire ce qu’en est. Une Ville assez grande par le support de Dieu, à receu une Reyne, par la grace de Dieu tres-grande & tres-illustre, sortie du sang des Empereurs & des grands Ducs de Toscane, en la genealogie de laquelle se lisent les noms des Maximilians, Philippes, Ferdinands, Charles, Cosmes, Laurents, Leons & Clements. Certes c’estoit une hostesse digne d’un tel logis, & le logis n’estoit pas du tout indigne d’une si grande hostesse. Si nous considerons la Reyne, c’est la Regente de toute la France, qui se presente à nos yeux. Si nous regardons la Ville; c’est l’une de plus celebres en marchandise de tout l’Univers. La Reyne, cy devant espouse du grand HENRY, s’est acquis un immortel renom par un si illustre mariage. Ceste Ville est renomée par l’inviolable confederation du commerce qu’elle entretient avec toutes les villes & provinces de la Terre. La Reyne, mere des plus puissans Rois de l’Europe, a donné à des tresillustres Royaumes des Rois ou des Reynes. Ceste Ville par la vente & achapt de diverses marchandises, apporte à ces Royaumes-la, & en reçoit plusieurs commoditez. Ce n’est pas un petit honneur à la Reyne, d’estre issue d’une tres-celebre natioin, ny à ceste Ville que tant de nations y abordent continuellement. La Reyne se rend venerable aux peuples par sa Majesté, & ceste Ville cy, aimable par l’attrayante esperance du gain, tant dedans que dehors. La Reyne peut monstrer les terres & pays des siens ou il faut naviger, & ceste Ville fournir des flot- [fol. C1r, p. 17] tes & navires pour y aller. La Reyne embrasse le viel & le nouveau monde, par les sceptres de ses fils ou de ses filles. Ceste Ville abonde en marchandises, qu’elle porte ou rapporte de tous deux, estant comme la commune boutique de l’un & de l’autre. Et pour parler avec les poëtes; Quant à la Reyne,

        Thetis luy a donné dans le sein de son onde,
        Des gendres commandans jusques au bout du monde.


    Et ceste ville,

        N’ayant eu au commencement,
        Qu’un tres-petit commandement,
        En un petit coin de la terre,
        Embrasse maintenant & serre,
        Ce que Phebus void au Levant,
        Et ce qu’il regarde au Couchant.


La Reyne,

        Se resjouit de voir que tant de Princes,
        Pleins de sante, Rois de grandes Provinces,
            Soyent ses enfants.


    Et quant à ceste Ville,

        Nous lui sommes tenus, de ce que ses loix sainctes,
            Permettent aux mortels
        De venir habiter dans ses larges enceintes,
            Y dresser leurs autels:

        Qu’un chacun peut changer de demeure & de terre,
            Et revoir, quand il veut,
        Les lieux plus reculés dedans l’autre hemisphere
            Ou le Soleil se meut:
        Que l’on peut maintenant penetrer en la plage,
            Que l’antiquité croit

[fol. C1v, p. 18]
        Estre inaccessible, & aller au rivage
            Ou l’Oronte se boit:

        Et que tous les humains qui vivent sur la terre,
            Quoy qu’esloignez de lieux,
        Ne sont plus qu’ un sul peuple, &c.


    Il semblera que je n’ay pas gardé les loix de la bienseance, en faisant comparaison de ceste Reyne & de nostre Ville. Mais il conste assez que la grandeur de ceste Princesse consiste en la grandeur & estendue de son Empire, en la splendeur de son sang & de ses ancestres, & en ses heroiques vertus; & de ceste Ville, au trafiq & au bonheur particulier de ses habitans. On pourroit revoquer en doute cecy, asçavoir mon si la courtoisie d’une Reyne eslevée en un tel faiste de grandeur est plus digne d’admiration, ou bien l’affection de ceste Ville envers elle. La Republique d’Amsterdam à creu estre de son devoir de faire honneur à l’arriere petite fille de l’Empereur Maximilian, duquel elle a autresfois obtenu le droict, de porter une Couronne Imperiale sur les armes: & pourtant s’est monstrée plus splendide, en ce que les autres villes ont fait avec une pareille affection & allegresse. Son Magnifique Senat s’est ressouvenu de la coustume observée de tout temps, que les Rois & Princes sont receus en leurs villes, ou en celles de leurs alliez, avec un solennel appareil. Tant les Grecs que les Romains l’ont pratiqué, ordonnans des triomphes, trophées, statues & autres tesmoignages d’honneur public, à ceux qui avoyent bien servi la Republique & l’Estat. Et combien qu’il n’ait point fait ces magnificences au Prince du pays & de la Ville, toutesfois il s’est creu obligé de gratifier à la [fol. C2r, p. 19] dignité d’une Princesse, qui tire son extraction des anciens & plus louables Princes de ces Provinces. A quoy doit estre adjousté, que nous jouyssons du bon heur de la perpetuelle bienveuillance, du tres-puissant Roy de France & de Navarre, LOUYS le Iuste, defenseur de nostre Estat, entretenant l’alliance autresfois contractée avec le feu Roy HENRY le Grand son pere de tres-glorieuse memoire, de l’un desquels Elle a eu l’honneur d’estre Femme, & de l’autre, Mere. Et ne s’est peu presenter une meilleure & plus commode oportunité de tesmoigner nostre recognoissance que si les villes de Hollande s’employoyent comme à l’envy, à honorer celle qui autresfois a comblé tout cest Estat de tresgrands bien faits. Les pompes triomphales sont le prix de la vertu & de la Grandeur. Pour l’une & l’autre raison, les Seigneurs d’Amsterdam ont trouvé à propos de desployer leur magnificence. Les despenses que faisoyent les anciens Romains en leur particulier, estoyent petites & chetifves, mais en public tres-magnifiques. Là ils vouloyent que l’espargne eust lieu, mais icy faire paroistre la Majesté de leur Estat. On ne doit pas diffamer du nom de Luxe les despenses par lesquelles est maintenue la Majesté & reputation de l’Empire. Car cela n’est pas prodigué que la Republique employe à de tres-bonnes fins. Et ne faut pas s’estonner si les villes qui surpassent leurs voisines en grandeur & pouvoir, s’efforcent de faire quelque chose de plus grand que les autres.
    [La Sortie de la Reyne du Brabant.] Apres cela la REYNE MERE eust pris la resolution de quitter le Brabant, & autres Provinces subjettes au Roy d’Espagne, où Elle avoit passé plusieurs an- [fol. C2v, p. 20] nées, & entrer sur les terres des Estats Unis, [Elle est reçuë par le Prince d’Orange par les Villes qui se rencontroyent en chemin, & par Messieurs les Estats Generaux.] Elle prit son chemin par les pays circonvoisins du Liege, par le Campinois, & villes de Hollande qui se rencontroyent au passage, asçavoir Dordrecht, Rotterdam, Delft, pour venir à la Haye, ou jadis les Princes & Gouverneurs de Hollande faisoyent leur residence. Là les Hauts & Puissans Seigneurs Estats Generaux luy allerent au devant en un magnifique train, & la vindrent saluer & luy offrir leurs services; comme le Tres-Illustre Prince d’Orange avoit desja fait auparavant à Boisleduc. Elle passa quelques jours en ce lieu, pour se reposer des travaux & incommoditez de son voyage. Ce seroit une chose trop longue & esloignée de mon dessein, de faire mention de tous les lieux par où Elle a passé, & de descrire les pompes & magnificences avec lesquelles Elle y a esté receuë. Ie ne parleray que de ce qui a esté fait icy & representé en public à l’arrivée de la Reyne. Elle avoit un merveilleux desir de voir ceste Ville, de laquelle aupravant Elle avoit ouy dire plusieurs grandes choses. [Elle vient à Amsterdam.] Pourtant s’y achemina Elle le dernier d’Aoust, accompagnée de la Tres-Illustre Princesse d’Orange, de Madamoiselle Mauricette, fille du Prince de Portugal, du Comte de Culemborg, de Monsieur de Brederode, de la veufve du Sieur de Potles, soeur dudit Sieur de Brederode, & de sa fille aisnée, du Sieur de Heenvliet, Grand Veneur de Hollande & Ruard de Putten, & d’autres de la Noblesse. L’ingenieuse curiosité de quelques uns remarque, que le mesme mois qui estoit consacré à l’honneur de l’Empereur Romain, a aussi servi à ceste Imperatrice pour commencer son voyage, asçavoir Aoust, qu’en Latin on appelle Augustus, à une Auguste Princesse, & finissoit ce mesme jour qu’elle s’en alloit en une [fol. C3r, p. 21] Ville honorée des armes de l’Empire. Passant donc par les terres des anciens Bataves & Kennemares Elle arrive sur le soir à Harlem, laquelle, entre les sept principales villes de Hollande, parle la seconde en l’Assemblée des Estats, & est celebre à cause du rude siege qu’elle a soustenu, des arts & manufactures qui s’y exercent, & de l’excellente invention de l’Imprimerie. Cecy ayant esté rapporté à Messieurs les Bourgmaistres d’Amsterdam, promptement ils y envoyent leur Conseillier Pensionaire Guillaume Boreel, Sieur de Duynbeke, pour prier la Reyne de daigner aussi venir en leur Ville, soit par terre, soit par eau, comme il luy plairoit d’y faire son entrée. Que le chemin par mer donneroit plus de plaisir à Sa Majesté, & conviendroit mieux à une telle Ville, à cause de la commodité & beauté des barques, & du grand nombre des navires de charge qu’Elle verroit à l’ancre, chose qui ravit en admiration les estrangers. La Reyne receut benignement ceste invitation des Bourgmaistres, & leur promit de s’y rendre le lendemain, avec l’aide de Dieu. Que le voyage par mer ne luy plaisoit pas tant, à cause de l’incertaine disposition de l’air & de la mer; qu’on preferoit la terre, comme la plus seure & la plus commode. Elle demeura une nuict à Harlem, ou Elle fut receuë par le Senat avec les honneurs deus à sa grandeur, les bourgeois aussi contribuans de leur costé tout ce qui estoit en eux, à ceste commune congratulation. Le premier jour de Septembre, qui estoit un Mercredy, Sa Majesté vint à Amsterdam, Ville dediée au negoce & exercices de Mercure, non point par le chemin oblique de la digue le la mer, mais par la chaussée de Fossé [fol. C3v, p. 22] neuf, qui meine tout droit à la Ville & sans destour. Ce jour qui estoit beau & serein sembloit se resjouyr de l’arrivée de la Reyne, toutesfois sur le soir il donna de la pluye, qui troubla un peu la feste.
    A mi-chemin on rencontre un lieu qui prend son nom de voisine hostelerie du Cerf, ou il y a des grosses & fortes escluses, par lesquelles le lac de Harlem se descharge dan le Zuyder Zee. Là par ordonnance des Bourgmaistres (car on n’estoit pas encore asseuré par quel chemin la Reyne entreroit en la Ville) s’estoit assemblée une grosse flotte de ces belles barques, qui servent à s’aller esbattre sur la mer, entre lesquelles la Capitainesse, appartenant à la Compagnie des Indes Occidentales, qui devoit recevoir la Reyne, la Princesse d’Orange, & les principaux de Sa suite, estoit toute tendue de belles tapisseries, & couverte d’un riche pavillon. Toutes les autres estoyent garnies de beaux voiles, & ornées de peintures, avec du Canon à la prouë & à la pouppe, & attendoyent en ce lieu-là l’arrivée de la Reyne. On y voyoit aussi flotter des longues bannieres de soye & de fine toile, qui ne leur apportoyent pas un petit ornement. C’est en ceste sorte qu’autresfois Athenes a receu ses Rois & ses Capitaines, Egypte sa Cleopatre, Rome Agrippine, & Tyr Alexandre le Grand qui l’avoit vaincue.
    [On envoyt audevant de la Reyne une troupe de cavalerie & une flotte de barques.] Icy derechef ayant esté demandé à la Reyne ce qu’il luy plaisoit, ou poursuivre son chemin en carrosse, ou bien monter en la Capitainesse & estre accompagnée de ceste belle flotte qu’Elle voyoit, Elle persista & son premier advis, soit à cause que la face de l’air estoit un peu changée, ou pource qu’Elle croyoit [fol. C4r, p. 23] que le chemin seroit plus long par eau, & qu’il y en avoit en sa compagnie qui craignoyent la mer. Comme on voyoit ceste armée flottante couvrir la riviere d’Y, ainsi sur terre il y avoit une belle troupe de Cavalerie qui venoit au devant de la Reyne pour l’accompagner & conduire en la Ville. Ce n’estoyent point gensdarmes à gage, mais la fleur de la jeunesse d’Amsterdam, qui n’a point accoustumé d’aller à la guerre par le commandement du Prince ou les Seigneurs, mais de son bon gré entretient des chevaux pour un honneste exercice du corps & de l’esprit. Les esperons, les estriers, les mords, les creins frizés, & autres tels ornemens de chevaux brilloyent tout d’or & d’argent, Es selles pareillement, poictraux & croupieres la beauté & la richesse combattoyent comme à l’envy. Ils n’avoyent pour toutes armes que l’espée & le pistolet. Leurs chapeaux estoyent couverts de superbes panaches de diverses couleurs. Les chevaux marchoyent la teste levée, avoyent les yeux vifs, grands & estincelans, les oreilles courtes, le col delié par où il se joint à la teste, la poictrine large, le dos plein, les pieds larges & velus. La plus part estoyent bays, les autres noirs ou gris, & y avoit aussi quelques pies. On pouvoit recognoistre la generosité de quelques uns à leurs pieds noirs, à leurs crein blanc & crespu, & à leurs barres rougeastres. D’autres se rendoyent recommandables par une petite estoile au front, d’autres par leurs pieds blancs. Ils estoyent si bien dressez que ceux qui les montoyent les tournoyent à droite ou à gauche à leur plaisir, obeyssans promptement au moindre bransle de la bride. S’ils entendoyent quelque part le cliquetis des [fol. C4v, p. 24] armes, ils ne pouvoyent arrester en place. Quand on les faisoit faire alte, ils maschoyent leurs freins escumans, & dressans les oreilles, frappoyent du pied contre terre. Ils marchoyent à la cadence, & par leurs hennissemens sembloyent vouloir favoriser le dessein de leurs maistres, avec telle gravité, que si par un instinct secret ils eussent senti qu’ils alloyent au devant d’une Reyne. Il y avoit trois cavaliers à chasque rang. Devant eux marchoyent trois trompettes vestus d’escarlate, faisans retentir l’air de leurs fanfares, & remplissans les oreilles d’une harmonieuse melodie. Les cavaliers estoyent distinguez entreux par la façon et le couleur de leurs habits. Les uns estoyent couverts de velours, les autres de satin, les autres de panne. Derechef les uns avoyent des accoustremens d’escarlate, les autres de brodés, les autres des decoupés & mouchetés. La plus part avoyent pour habit de dessus un collet de buffle, à la soldatesque. En somme il les faisoit tous fort beau voir. N’est à propos d’objecter icy le dire d’Annibal, que les soldats doivent plustost estre forts & vaillans que richement accoustrez. Ny celuy d’Horace, que le craintif marinier ne se confie point en son navire peint. Car combien que ceste magnifique troupoe n’allast point à la guerre, mais au devant d’une Reyne, toutesfois il y avoit tant de vigueur, tant de generosité & de grandeur de courage, en ceste florissante jeunesse dont elle estoit composée, que si, non point la Reyne MARIE, mais Annibal luy mesme eust esté aux portes de la ville, elle eust esté capable de l’en chasser, employant à une aspre & serieuse guerre ces mesmes armes, qui alors ne servoyent qu’à l’ostentation & à la parade. Et ne faut pas [fol. D1r, p. 25] du tout condamner la parure & enrichissement en l’equippage militaire. Platon & Ciceron, cestuy-la au douzieme livre des loix, cestuy-cy au second, veulent qu’on ne garde & n’employe les couleurs & teintures, qu’es ornemens de la guerre. Iules Cesar mesme, le plus vaillant de tous les Capitaines, avoit des soldats si richement accoustrez, que leurs armures brilloyent toutes d’or & d’argent. Ce qu’il leur permettoit non seulement pour la beauté, mais aussi afin qu’ils eussent plus de soin de les conserver en la meslée, pour la crainte du dommage. Pareillement Vegece en son livre de l’Art militaire, ordonne que les soldats soyent braves en leurs habits, & ayent leurs armes bien polies & reluisantes. Le Chef de ceste troupe de cavalerie estoit Corneille de Davelaer, Advocat, Sieur de Petthem, lequel, comme la Reyne s’arrestoit pour la contampler, luy parla en ceste sorte:


    SERENISSIME PRINCESSE,

    “C’est icy la cavalerie de la Ville d’Amsterdam, qui par l’ordre & commandement de Messieurs les Bourgmaistres & Regens de la Ville, portez d’une singuliere affection envers Vostre Majesté, pour son incomparable dignité & tres-grands merites, luy vient au devant à son entrée en ces quartiers & jurisdiction d’Amsterdam, en tesmoignage & pour un eschantillon de la resjouyssance publique qui est dedans la Ville; un chacun se congratulant de ce qu’il a pleu à Vostre Majesté par dessus tous les benefices desja receus, s’abbaisser pour esclairer du Soleil de sa grandeur la Ville d’Amsterdam. Nous offrons donc à Vostre Ma- [fol. D1v, p. 26] jesté tous les services qui sont en nostre pouvoir, ls prians treshumblement qu’il luy soit agreable de se laisser conduire par ceste compagnie dans les murailles de la Ville, en la maison ou de tout temps on a accoustumé de loger les Princes & grands personnages qui viennent icy. Là Elle trouvera que ce devoir que nous luy rendons, n’est qu’une petite monstre de grandes obligation que ceste Ville luy a, & n’esgale en aucune sorte les merites & grandeur de vostre Majesté.”

    La Reyne respondit sur cela; qu’elle remercioit Messieurs les Bourgmaistres, & que leur offre luy estoit agreable.

    [Les compagnies des bourgeois sont disposees par la Ville.] Mais tandis que ces choses se passent dehors, on prepare dedans la Ville par l’ordonnance des Bourgmaistres, tout ce qui estoit requis pour la magnificence de ceste reception. Il y a d’ancienneté en la Ville vingt compagnies de bourgeois, esquelles consiste sa principale force & defence. Car tousjours on a trouvé bon es Republiques bien policées de se confier plustost aux subjets naturels qu’a des soldats mercenaires, & de ne se reposer point tant sur le secours estranger, qu’on n’employe tousjours plus grand nombre, de ceux, qui ont interest à la conservation de l’Estat. On commande à ceste gendarmerie de s’assembler, un chacun sous son Capitaine & sous son enseigne: Ils estoyent armez en partie de picques, en partie de mousquets, & couverts de casques & cuirasses. Quant aux habits ils estoyent divers, ou selon la qualité des charges, ou selon la volonté d’un chacun; mais il n’y avoit personne qui ne se fust efforcé d’y paroistre en tresbel equippage. Tous en- [fol. D2r, p. 27] semble montoyent au nombre de quatre mille hommes d’eslite, ou un peu plus. On assigne à chacune de ces compagnies leur place par la Ville. Les unes attendoyent à la porte par où la Reyne devoit entrer. Les autres estoyent disposées en haye de costé & d’autre, avec un tresbel ordre, tout le long de la Nouvelle digue, de la place du marché, qu’on appelle le Dam, & de diverses rues jusques au Palais du Prince. On en mit quelques unes sur les trois celebres ponts du Damerac, & sur les bords d’iceluy. C’est un grand & large Canal, par lequel les eaux de la riviere d’Y, ou plustots du Zuyder Zee se rendent dans la Ville, & s’estend jusques à l’escluse du dam. Il sert de quay aux navires qui de toutes parts viennent au marché, & aux batteaux de bled. Mais alors les Seigneurs avoyent commandé que tous ces vaisseaux se retirassent, pour faire place à sa Majesté, qu’on esrimoit devoir entrer par là. Et en ce mesme Canal estoyent gardez secrettement sous les ponts, les spectacles qui peu apres devoyent estre representez. Les fenestres & avant-toicts des marchans de costé & d’autre du Damerac, avoyent esté loüez un grand argent, par ceux qui estoyent curieux de voir les pompes de ceste entrée. Mais la Reyne ayant pris un autre chemin, tout cest appareil se reposa ce jour là & le suivant. On avoit aussi tiré plusieurs Canons de l’Arsenal public, qu’on avoit mis sur les bords de l’Y, & sur les lieux plus eminens & avancez dans l’eau.
    Toute la Ville de son propre mouvement chomma ce jour là, comme si c’eust esté uns feste solennelle. Il ne se trouva personne que l’aage, ou le sexe, ou la multitude de ses affaires, ou le soin de son mesnage, [fol. D2v, p. 28] retinst & empeschast qu’il ne sortist de la maison, pour repaistre ses yeux avides de la veuë de ceste grande Princesse. On ne sauroit dire quelle foule il a avoit d’hommes, de femmes, de garçons, de filles, accourans de toutes parts à ce spectacle. Les rues & places de la Ville estoyent tellement remplies de monde, qu’il estoit impossible d’y passer. Les toicts gemissoyent sous le pesant fardeau de la multitude des regardans. Et voyoit on ceux qui n’avoyent peu trouver de place sur la terre, perchez sur des arbes, ou se tenans suspendus à des antennes de navires, non sans grand danger. Les estrangers & les bourgeois & habitans, estoyent tous esgalement curieux de voir, tachans de se surmonter les uns les autres en ceste honneste emulation. Les uns occupoyent les porches, les autres les enclos & faillies des maisons. Les plus hardis montoyent sur les faistes & se tenoyent aux pignons, hazardans leur vie pour l’ardent desir de voir qui les possedoit. Les avant-toicts estoyent soustenus avec des appuis, de peur qu’ils ne fussent escrasez sous la multuitude de ceux qui estoyent montez dessus. On avoit aussi en divers endroits dressé des theatres & eschaffauts, qui estoyent remplis de peuple.
    Sur les cinq heures apres midy l’Astre de Medicis apparut sur l’horizon d’Amsterdam; la Mere des plus grands Rois de l’Univers entra dans ceste celebre Ville, accompagnée & conduite par la troupe de cavalerie qui luy estoit allée au devant.
    Alors le Canon, deschargé de tous les endroits de la Ville, par son terrible bruit fit sçavoir à chacun l’arrivée de la Reyne. Tant de tonnerres & de foudres [fol. D3r, p. 29] venans à esclatter tout à la fois, on eust veu l’air tout en feu, le ciel enveloppé d’une onde de fumée, & la terre trembler, comme preste à se fendre. Les grosses cloches de tous les clochers de la Ville portoyent, avec leur son, par les villages circonvoisins, la resjouyssance commune, & les moindres, par leur tresareable concert & harmonie, se joignoyent aux applaudissemens du peuple.
    A l’entrée de la Ville & porte de Harlem, les Sieurs André Bicker, cy devant Bourgmaistre & Ambassadeur vers les Rois de Poloigne & de Suede, Colonel de la gendarmerie de la Ville, Pierre Reael, Thresorier, Gerbrand Nicolas Pancras, Conseiller, Iaques Bicker, Assesseur de la Compagnie de Indes Orientales, tous Capitaines des bourgeois, receurent la Reyne avec congratulation, [Le Pensionaire C. Boom fait une harangue à la Reyne.] le Sieur Corneille Boom Conseiller Pensionaire portant le parole & disant.


    MADAME,

    “Messieurs les Bourgmaistres de ceste Ville ont deputé expressement Monsieur le Colonel & Capitaine icy presens, pour tesmoigner la joye publique de l’heureuse arrivé de Vostre Majesté, & la gloire qui en demeurera à la Ville à jamais. Aussi pour supplier bien humblement Vostre Majesté, de trouver bon que lesdits colonel & Capitaines avec leurs gens, puissent avoir l’honneur de la conduire dans la Maison du Prince, où Messieurs les Bourgmaistres, avec sa permission, auront l’occasion & le bon heur de pouvoir declarer amplement la joye de leurs ames, & d’y faire offre à Vostre Majesté de leur treshumble service, au [fol. D3v, p. 30] nom de la Ville. Pourtant Monsieur le Colonel & les Capitaines attendans d’un ardent desir la grace d’estre admis à l’honneur de ceste conduite, prient treshumblement qu’il plaise Vostre Majesté d’avoir pour agreable la profession publique qu’ils font d’estre vos tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs.”

    La Reyne receut tres-humainement & d’un visage allegre les devoirs d’honneur qui luy estoyent si franchement offerts par Monsieur le Colonel & les Capitaines.

    [Entrée de la Reyne dans la Ville.] Partie de là, au milieu des pompes triomphales de la cavalerie qui marchoit devant, & de l’infanterie qui la suivoit, & entre les belles rangées des bourgeois armez, qui remplissoyent les rues de costé & d’autre, Elle passa par la Nouvelle digue, & vint jusques à l’hostel de Ville & à la grande place du marché. La Cavalerie & les carosses de la Reyne & de son train alloyent plus lentement à cause de la merveilleuse & presque incroyable multitude de gens accourans de toutes parts; lesquels non seulement occupoyent les rues, mais aussi se jettoyent, non sans un manifeste peril, sue les rouës de son carosse.
    [Arc triomphal.] Au sortir de ladite Place, là où la rue commence, on recontroit un haut & superbe Arc triomphal; au faiste duquel il y avoit un petit Navire, qui sont les anciennes armoiries & seau de la Ville d’Amsterdam. Au haut du mas on voyoit flotter une belle banderolle de taffetas rouge. Et dans le Navire estoyent deux Comtes de Hollande, armez à l’antique, qui ont ottroyé à ceste Ville des privileges, en memoire & recognoissance desquels elle a tousjours voulu rete- [fol. D4r, p. 31] nir ceste marque. Bien à propos certes ceux-là ont pris pour leurs Armes un Navire, qui par le moyen de leurs navires courans par tout le monde, se sont eslevez en un faiste de grandeur, qui tourne à la gloire de leurs alliez, apporte de la terreur à leurs ennemis, & de l’estonnement aux peuples esloignez. Les aisles avec lesquelles nos marchands volent jusques aux Indes, en Orient & en Occident, & y portent leurs marchandies, ne sont que des planches assemblées. Ces viles planches nous font jouyr des richesses & commoditez des pays les plus reculez de l’Univers. Par leur moyen nous avons osté au Roy de Portugal & de Castille les Moluques & le Bresil. Elles nous ont servi à entreprendre des grands & perilleux voyages au Septentrion & par la mer Scythique, qui ont rendu par tout celebre le courage de nos gens. Ce sont elles qui depuis peu ont traversé la mer Pacifique, & sont allées au golfe de Mexique, arrachans d’entre les mains d’un tres-puissant Roy des immenses sommes d’or & d’argent. Tellement qu’a bon droict ceste Ville qui doit aux navires toute sa puissance & bonheur, se delecte à porter un Navire pour ses Armes.
    [Au theatre de l’ Arc estoyent representées les espousailles d’Henry IV, & de Marie de Medicis.] Le premier Spectacle qui se voyoit au theatre posé au haut de l’Arc, estoit la representation des Espousailles du Roy Tres-Chrestien HENRY IV, Roy de France & de Navarre, & de la Reyne Tres-Chrestienne MARIE DE MEDICIS. Là ceste illustre & venerable couple se tenoyent par la main, pour se donner mutuellement la foy de mariage; avec une Majesté convenable à des Rois, avec une beauté & bonne grace requise en des Espoux, & une magnificence d’habits [fol. D4v, p. 32] propre à des Dieux en terre. C’est en telle pompe, comme je croy, que Ionon a autresfois tenu compagnie à Iupiter, Thetis à Pelée, Aspasia à Cyrus, Livia à Auguste, Marie à Honorius, Minervine à Constantin, quand ils se marioyent ensemble. Derriere estoit le Sacré Prelat qui benissoit le mariage. Et afin qu’il parust qu’une chose de telle importance ne se faisoit point sans la volonté de Dieu, deux Anges soustenoyent d’enhaut une Couronne sur ces testes royales, pour signifier que l’alliance de ce Grand Prince avec ceste Grande Princesse, plaisoit à Dieu, auquel servent ces Esprits bienheureux. Le Roy avoit la teste entourée d’une couronne de laurier, qui estoit autresfois l’ornement des Empereurs triomphans. Tout le reste de son corps estoit armé, afin de monstrer qu’entre ces resjouyssances & sollemnitez nuptiales, le roy pensoit à la seureté de son Estat, & qu’il n’estoit pas encor affranchi des travaux & sollicitudes de Mars, quand ceste sollennité se dedioit à Venus, qui veut un accoustrement plus delicat. Ce qui ne s’accorde pas mal avec la verité de l’histoire. Car le Sieur de Thou raconte que le roy estoit habillé en soldat, quand il entra dans Lyon pour se marier avec la Reyne. Sur ses espaules il avoit un manteau royal brodé d’or & de soye, afin que ces Nopces ne fussent point destituées de toute magnificence d’habits, convenable à une telle Majesté. Un page portoit son casque, tesmoin de tant de victoires, si souvent arrousé du sang de ses ennemis, & qui entre les gresles de boulets pleuvans de toutes parts, estoit tousjours demeuré inviolable. La Reyne aussi y paroissoit avec une dignité heroique, & une gravité singuliere. Avec une [fol. E1r, p. 33] dignité, dy-je, requise en la fille d’un grand Duc, avec une gravité digne d’une Princesse de la maison de Medicis, & avec une bonne grace convenable à une Espouse. La longue queuë de sa robbe parsemée de fleurs de lis d’or sur un fond bleu, monstroit que c’estoit une Reyne de France.
    A costé du theatre & à la droite du Roy estoit Hercule, non point couvert des despouilles d’un Lion, qui ne se recouvrent icy qu’à grand peine, mais à demy ceint d’une peau d’Ourse, tenant en sa main une massue, dont il a escrasé tant de monstres, des Hydres, des Lions, des Taureaux, des Cerberes, des Antées & des Caques. On ne pouvoit donner à un Roy espoux un plus propre Paranymphe que ce patron de vaillance, de sagesse, & de constance, cest Hercule ennemi irreconciliable de la tyrannie, extirpateur des crimes, & defenseur de la liberté. Aux pieds d’Hercule estoit un bouclier qui portoit engravées les armes du Royaume des fleurs de Lys. Aupres de luy on voyoit Mars branslant une espée en sa main, qui est le Dieu sans l’assistance duquel on a autresfois creu que nulle guerre ne se pouvoit ny entreprendre, ny parachever heureusement. Et n’estoit pas aussi mal à propos, de faire trouver le Mars Thracien aux Nopces du Mars François.
    La Reyne avoit pour compagne Pallas, qui est la Deesse de Sapience, qui instruit les Reynes & les induit à bien faire, à discerner l’honneste d’avec le deshonneste, l’utile du dommageable; & à procurer entant qu’en elle est la paix & l’incolumité des Royaumes. Ainsi par ceste representation estoit signifié assez ouvertement, que la prudence de Medicis se ma- [fol. E1v, p. 34] rioit avec le plus vaillant Roy de la terre. Au haut de son espieu voltigeoit une enseigne en laquelle estoyent depeintes les Armes de la maison de Medicis. En son bouclier elle ne portoit point l’effroyable reste de Meduse, mais les mesmes Armes, pour ramentevoir à la Reyne de combien illustre famille Elle estoit issue. Car il avoit pleu à l’inventeur de ces gentillesses de destourner de l’amiable regard de la Reyne, & de la sollennité sacrée de son mariage, cest hideux visage & tout herissé de serpens.

SUR LE SPECTACLE.
        EN, bellatori nubit MEDICEA marito,
                Et Princeps Italûm nobile fedus adit.
        Et rutilis juxta fulgens
HENRICUS in armis,
                Hac sibi sceptrorum spem genitrice facit.
        Herculis hîc faciem videas, hîc Pallada. quorum
                Haec regnis mentem commodat, Ille manum.


Dont le sens est.
        VOicy devant vox yeux la Grande MEDICEE
        Qui prend pour son espoux un Prince belliqueux,
        Et chaste se sousmet aux loix de l’hymenée
        D’un Monarque prudent, sage & tres-valeureux.

                HENRY paroist aupres couvert d’armes dorées,
        Dont lustre le brillant resplandit à nos yeux,
        Qui se promet de voir dans le cours des années
        De
MARIE & de soy des Roys tres glorieux.
                Le genereux Hercule & la docte Minerve
        Comparoissent icy en leur plus grand esclat,
        Dont l’un par sa valeur les Empires conserve,
        L’autre par son conseil les maintient en estat.


[fol. E2r, p. 35]
    [Les septenaires de ceux d’ Avignon accommodez au mariage du Roy & de la Reyne] Pource qu’il s’agit icy des Nopces Royales, je rapporteray, non point comme une chose grave & fort serieuse, mais comme une invention laborieuse & pleine d’industrie, que ceux d’Avignon, lors que la Reyne passa pour s’aller marier au Roy, es Arcx triomphaux & theatres qu’ils dresserent à son honneur, choisirent le nombre de Sept, qui est tenu de bon augure, comme convenant au Roy, & à la Reyne, & à leur Ville, en beaucoup de choses. Qu’il y a VII palais en Avignon, autant de paroisses, VII anciens monasteres, VII convens de religieuses, VII hospitaux, & autant de colleges & de portes. Qu’alors le Roy estoit aagé de VII fois VII ans; qu’il estoit le neuf fois VIIe qui regnoit depuis Pharamond, qu’à Arques pres de Diepe, le trois fois VIIe de VIIembre il avoit battu ses ennemis; qu’à Yvri son armée estoit composée de VII bataillons quarrez; qu’il gagna ceste bataille le deux fois VIIe jour de Mars; qu’il remporta la victoire à Fontaine-Françoise le VIIe mois de l’année, & la deux fois VIIe heure du jour, c’est à dire à deux heures apres midy; & qu’au mesme mois en l’Eglise de Sainct Denys il avoit fait solennelle profession de la religion de ses ancestres; qu’Amyens avoit esté pris par les Espagnols l’an M D XC & VIIe , & recouvré par le Roy au mois de VIIembre que le XX & VIIe de Fevrier il avoit esté sacré à Chartres avec une grande pompe; & que le trois fois VIIe de Iuin il avoit conclud la paix avec les Espagnols. Que la Reyne estoit en sa XX & VIIe année; qu’elle estoit petite fille de Ferdinand, VIIe Empereur de la maison d’Autriche; qu’elle estoit venue d’Italie avec X & VII [fol. E2v, p. 36] galeres, que la Capitainesse avoit XX & VII rangées de rames de costé & d’autre. Auxquels septenaires nous en pouvons encor adjouster un, à savoir que la Reyne est entrée à Amsterdam au mois de VIIembre. Mais le Sieur du Vair, alors premier President au Parlement d’Aix, & depuis Garde des Seaux de France, parle plus gravement de ce mariage en l’harangue qu’il fit à la Reyne à son arrivée à Marseille. Ie l’insereray icy toute entiere, comme un prognostie de sa future fecondité Royale.


    MADAME,

    [Harangue du Sieur du Vair faite à la Reyne à son arrivée à Marseille.] “Sitost que nous avons veu vostre Majesté aborder en ceste Province, & avec Elle la felicité en ce Royaume, nous avons abandonné le siege de la justice souveraine, que nous avons cest honneur de tenir, pour nous venir prosterner à vos pieds, vous rendre un des plus illustres hommages que puisse recevoir la couronne qui ceint maintenant vostre chef, & nous prononcer quant & quant redeuables de tous les voeux que nous avons jamais fait pour le bien & salut de cest Estat. Car asseurement aujourd’huy les croyons nous exaucez, & estimons que tant de merveilles que Dieu avoit commencé d’ouvrer pour la restauration de la France, sont entierement accomplies; & que nostre bonne fortune qui sembloit auparavant chancelante, soit maintenant assisse sur une ferme base & immobile fondement. Dieu nous a donné un Roy excellent en vertus, admirable en bonté, incomparable en vaillance, qui par ses labeurs nous a mis en repos, par ses perils en seureté, par ses victoires en [fol. E3r, p. 37] reputation. De sorte que nous nous fuissions quasi dits bienheureux, si une triste pensée n’eust souvent troublé le cours de nos joyes. Ceste pensée dy-je, qui nous representoit que la nature a borné la vie de tous les hommes du monde, tant des grands que des petits, des Rois que leurs subjets: que la solitude & l’orbité rendoyent à nostre Prince la sienne moins agreable, & luy diminuoyent le desir & le soin de la conserver & cherir. A cela nos souhaits cerchoyent tous les jours des remedes, & ne sçavions d’où les esperer, jusques à tant que l’esclair de vostre face royale a percé le nuage de nos ennuis, & fait poindre à nos yeux une vive esperance de voir doresnavant nostre bonheur aussi stable qu’admirable. Car voyant reluire en vostre visage tant de graces, dont la nature vous a ornée, considerant ceste naifve douceur dont elle a temperé vostre royale gravité, & oyant la voix celebre de la renommée, qui publie par tout la vivacité de vostre esprit, la solidité de vostre jugement, l’elegance de vos discours: mais qui fait retentir par dessus tout cela, le los incomparable de vos sainctes & religieuses moeurs: nous nous persuadons que vous estes vrayement celle que le ciel avoit destinée pour adoucir par une agreable societé la vie de nostre Prince, prolonger ses jours par son contentement, & perpetuer l’heur de son regne par la suitte d’une longuide lignée & ample posterité. Nous jugeons que vous estes vrayement seule sur la terre, digne de recevoir & faire reposer en vostre chaste sein, la vie tant exercée de plus noble & triomphant Roy qui vive aujourd’huy: & que seul il meritoit au monde de recueillir dans ses bras victorieux la plus vertueuse & plus a- [fol. E3v, p. 38] greable Princesse qu’ait porté le siecle ou nous vivons. Et de là nous presageons que nous verrons bien tost autour de vous un bon nombre de beaux enfans, portans sur leur front la valeur de leur pere, la vertu de leur mere, la grandeur & noblesse de la maison de France, où vous estes alliée; l’heur & la puissance de celle d’Autriche, dont vous estes issue; & la prudence & sagesse de celle de Florence, dont vous estes née. A la creance de ce doux presage toutes choses nous convïent, les heureux succes de guerre qui sont arrivez à nostre Prince à mesure que vous vous acheminiez vers luy, la paix qu’à vostre arrivée il donne à ses subjets & à ses voisins, & le ciel & la mer encore, puis que nous voyons evidemment qu’au moment de vostre debarquement la mer pleine d’agitation s’est calmée, & le ciel plein de nuages s’est esclaircy, comme s’ils vouloyent d’un oeil riant celebrer avec nous la magnificence de vostre bien-fortunée reception. A la bonne heure donc, ô Grand Reyne, soyez vous jointe à nos bords; heureuse soyez vous longuement en la France & à la France: que le siecle que nous commençons, vous puisse voir à sa fin treschere Femme d’un Grand Roy, & les siecles à venir vous renommer glorieuse Mere de grands Roys. Mais pour le comble de vostre gloire, souvenez vous, & vous resouvenez, que comme vous estes devenue une Grande Reyne en espousant un Grand Roy, aussi estes-vous devenue mere charitable des peuples desquels il est le vray pere: & pource commencez d’entrer en part de ceste sollicitude royale & dilection paternelle. Et puis que la felicité des subjets est la vraye gloire des Princes, fomentez & augmentez par vostre [fol. E4r, p. 39] aide & faveur l’amour & affection que ce grand Roy vostre espoux a naturellement au bien & soulagement des siens, afin qu’il vous sentent comme un nouvel Astre luisant benignement sur eux, & leur influant un cours perpetuel de toute prosperité. Ce faisant vous oyrez tous les ordres de ce grand & florissant royaume, joindre leurs voix pour benir vostre nom, joindre leurs desirs pour fortifier leur fidele affection à vostre tres-humble service. Et quant à nous, Madame, qui ne cerchons nostre plus grand heur & plus grand honneur en ce monde, qu’a bien & dignement servir nostre Prince, vous voyant eslevée en son throne avec luy, vous consacrerons pour tousjours, comme nous faisons presentement, nos coeurs, nos affections, & nos vies, pour demeurer tant que nous serons au monde, vos tres-humbles, tres-fideles & tres-obeyssans officiers, serviteurs & subjets.” Nous avons entendu comme ce Mariage a esté representé sur le theatre. Maintenant pour rappeller l’esprit du lecteur des feintes images aux choses mesmes & à la verité, j’en exposeray la maniere et la forme, comment il a esté commencé en un lieu & consommé en l’autre, par les paroles du grand de Thou. “Entre les diverses sollicitudes,” dit il, “de la guerre, en laquelle on s’en alloit entrer, l’affaire du mariage du Roy avec MARIE DE MEDICIS, fille de François grand Duc de Toscane, ne fut point intermise. Le premier contracté vingt-huict ans auparavant avec Marguerite fille du Roy Henry II, & soeur de Charles IX, ayant esté declaré nul par la sentence du Cardinal de Ioyeuse, Nicolas Brulard Sieur de Sillery, Ambassadeur du Roy pres [fol. E4v, p. 40] du Pape, fut envoyé à Florence avec un tresample pouvoir, pour souscrire au nom de Roy aux articles ja auparavant debattus & accordez. Puis apres le Roy s’en allant en Savoye, envoya une commission speciale à Ferdinand Grand Duc de Toscane, oncle de MARIE, pour faire les fiançailles, par Monsieur de Bellegarde Grand escuyer, qui partit de Marseille avec XL gentilshommes, & arriva à Livorne le XX de Septembre, & trois jours apres à Florence, ou il fut tres-magnifiquement receu par les Seigneurs Iean & Antoine, fils naturels de la maison de Medicis. Ferdinand aussi Grand Duc de Toscane, sortant du Palais des Pity, alla en personne au devant de luy avec toute sa Cour, & apres les salutations & congratulations mutuelles, ayant appris la charge que Monsieur de Bellegarde avoit du Roy, ils s’en allerent tous deux en son Palais, où ledit Sieur de Bellegarde estant conduit vers la Princesse MARIE, luy bailla des lettres escrites de la propre main du Roy, & luy declara la plus ample commission qu’il avoit receuë. Le deuxieme jour d’Octobre, Vincent Duc de Mantoue arriva à Florence avec sa femme Eleonor, soeur de MARIE; & le lendemain le Cardinal Aldobrandin, Ambassadeur de Venise, destiné Legat vers le Roy pour traicter de la paix, passa par Florence afin d’assister de la part du Pape aux ceremonies de ces epoussailles, & le quatrieme dudit mois entra en la ville avec une pompe solennelle, le Grand Duc luy estant allé au devant jusqu’à la porte de la ville, non seulement avec sa Cour, mais aussi accompagné de tout le Clergé de Florence, & de là marchant à sa gauche jusqu’à la grande Eglise, où tous deux descendirent [fol. F1r, p. 41] de cheval, & les prieres publiques achevées, s’en allerent ensemble au Palais Ducal. Apres le souper, qui fut fort magnifique, Le Cardinal Aldobrandin s’en alla saluer la Princesse MARIE. Le jour suivant furent celebrées les ceremonies des espoussailles, le Legat luy mesmes faisant le service, ayant à sa main droite ladite Princesse MARIE, & à sa gauche, Le Grand Duc de Toscane son oncle.”
    Et voyla quant aux Espoussailles faites par procureur. Mais apres que la Reyne fut d’Italie arrivée en France, & venu à Lion, le Roy luy mesme sans procureur accomplit la solennité du mariage. Là la Reyne attendit huict jours entiers le Roy qui estoit occupé au siege du fort de S. Catherine. Finalement elle apprit le IX de Decembre, qu’il venoit en diligence, & arriveroit ce mesme jour. Pourtant elle soupa plus tost que coustume, & se retira en la chambre prochaine, où le Roy se rendit incontinent, habillé à la soldatesque. Alors furent derechef celebrées les sollennitez des espoussailles, faites auparavant à Florence, où se trouva une fort grande assemblée de Princes, de Seigneurs & de grandes Dames, comme aussi des Ambassadeurs des Princes estrangers, entre lesquels de la part des Archiducs Albert & Isabelle, estoit Charles de Ligny, Comte d’Aremberg.
    Mais pour retourner à l’Arc triomphal, la Reyne ayant fait tourner son carrosse vers le theatre, contempla le tout fort attentivement, & ne cessa d’y avoir les yeux fichez jusqu’à ce que les rideaux estans tirez, desrobberent aux spectateurs la veuë de ces illustres Mariés. De là Elle fut menée par les plus celebres & plus larges rues de la Ville, afin que les carrosses y [fol. F1v, p. 42] rencontrassent moins d’empeschemens. On la fit passer par la peuplée & marchande rue aux Herbes, où les maisons sont extremement cheres, & les places fort estroictes. Là demeurent peslemesle les orfevres horlogers, joalliers, tapissiers, lapidaires, fourbisseurs, armuriers, sculpteurs, estaimiers, les marchans de vin, de toiles, de draps de soye, peletiers, chapeliers, passementiers, droguistes, apothicaires, ciriers, & infinies autres sortes de marchans & d’artisans. De là on la mena par la rue de Lisdel, puis en tournant vers le midy, le long du Canal de Velours, ainsi appellé pour la beauté des maisons qui sont de costé & d’autre. Là on arriva tout devant la rue des Archers, vers le pont Porcin; au bout duquel on avoit dressé un second Arc triomphal, de grande hauteur, & tout enrichi de peintures. Au sommet estoit escrit en grosses lettres ce demi vers de Virgile, LAETA DEUM PARTU, pour signifier que la Reyne Mere a porté des enfans que sont comme des Dieux en terre. Là s’estant arrestée, & les rideaux destournez, se vit en haut un autre spectacle, qui estoit la Reyne mesme, representée à la façon de Berecynthie Mere des Dieux, assise sur un magnifique chariot, auquel estoyent attelez, non point des colombes, comme à celui de Venus, ni des paons comme à celui de Iunon, ni des Lynx, comme à celui de Bacchus, mais des Lions, que la fabuleuse antiquité a attribué à Berecynthie. Entre les Romains les chariots des generaux d’armée triomphans de leurs ennemis, estoyent traisnez par des chevaux, tandis que la Republique a demeuré debout. Mais ayant perdu sa liberté, M. Antoine Triumvir premier, comme à l’imitation des Dieux, [fol. F2r, p. 43] voulut avoir au sien des lions. Et comme Berecynthie porte-tours, estoit autresfois pourmenée par les villes de Phrygie environnée des Dieux celestes, ainsi fut veuë en ceste representation la Berecynthie des François, entournée de toutes parts accompagnée d’une lignée de Dieux terrestres. Sur le devant du chariot estoit assis LOUIS le Iuste, Roy de France & de Navarre, & aupres de lui son frere GASTON, Duc d’Orleans. Sur le derriere estoyent ses trois filles, à savoir HENRIETTE MARIE, femme de CHARLES, Roy de la grand Bretagne, Defenseur de la foy: ELISABETH, mariée au trespuissant Roy d’Espagne PHILIPPE IV: & CHRISTINE, espousse du Grand Duc de Savoye, VICTOR AMEDEE. Chacun d’eux & d’elles estoyent distinguez paas les Armories de leurs Royaumes & Duchez. Cesar Germanicus estoit environné de pareil nombre d’enfans, en ce beau triomphe qu’il remporta de Cherusces, des Cattiens & des Angrivaires. Sa grande beauté (dit Tacite au II livre de ses Annales) arrestoit les yeux des regardans, & son chariot chargé de cinq de ses enfans. Il y avoit quatre Vierges autour de son chariot, qui representoyent l’Europe, l’Asie, l’Afrique, & l’Amerique: chacune desquelles parties du monde se pouvoyent discerner par les divers fruicts & animaux qu’elles portent. Ce qui avoit esté fait à dessein de monstrer que le Roy & les Reynes qui estoyent en ce chariot de leur Mere, estendent leur domination par toutes ces parties de l’Univers. Sur quoy furent composez ces vers Latins:
QUalis per Phrygias quondam Berecynthia portas, Vecta fuit, partu tot celebrata Deûm: Ingredere auspiciis nostram felicibus Urbem, Atque oculos per me fer, MEDICEA, tuos, [fol. F2v, p. 44] Quos portus, qua tecta vides, turresque, ratesque, Templaque, fortunae sunt monumenta meae. Per terras fluctusque vagor, sua munera mundus Mittit, & hîc precio prostat uterque suo. Caesaream felix, abavo donane, coronam, Et decus à vestro sanguine grande tuli. Ad Te praeteriti redeat nunc gratia facti, Et non immemorem, maxima Neptis, habe. Sic placui defensa tuo Regina marito, Sic nato de Te Rege beata fruor. Si majus genuisse Deos, Regesque, Ducesque, Jam Matri liceat tot placuisse Deûm.
Ce que nous avons rendu en Françoys par les vers suivans.
Ainsi qu’on vit jadis es villes de Phrygie, Sur un char triomphant, La grande Cybele, Mere des Dieux, suivie De ses fils en chantant: Entrés de mesme icy Princesse d’Italie, Grande de MEDICIS. Jettés vos yeux par tout, c’est moy qui vous convie Reyne des fleurs de lys. Tous ces grands bastimens & ces tours eslevées Qui sont devant vos yeux, Ces temples, ces vaisseaux, & ces ports, sont trophées De mon sort bien-heureux. Ja vay tousjours flottant sur terre & sur les ondes. Les lieux les plus lointains M’envoyent leurs presens, & icy les deux mondes Se vendent aux humains. Ceste couronne d’or dont on me voit parée, Marque des Empereurs, [fol. F3r, p. 45] Avec ces grands honneurs dont je suis entourée, Me vient de vos Majeurs. Pour n’estre point ingrate, agrées mes services, Et les remerciemens, Que je dois aux bienfaits & mille & mille offices Receus de vos parens. C’est ainsi qu’autrefois j’ay eu pour favorable Le Roy vostre mary: C’est ainsi maintenant que je suis agreable Au rejetton d’ HENRY. Mais puis que c’est bien plus d’avoir porté des Princes, Des Monarques, des Roys, Dieux de cest Univers, gouvernans leurs Provinces Par l’equité des loix. Qu’il me soit donc permis prendre le soin de plaire, Aux yeux Majestueux, D’une divinité regnante icy sur terre, Mere de tant de Dieux.
Vis à vis de ce chariot se voyoit un Navire, qui sembloit venir au devant de sa Majesté. Sur sa prouë estoit une belle Vierge, revestue de tressomptueux vestemens, representant la Ville d’ Amsterdam. Elle avoit le visage baissé, & le corps un peu courbé, pour faire la reverence à la Reyne, & lui offrir humblement les voeus publics & protestations de service. On appercevoit au mesme Navire, ces deux Comtes de Hollande dont ci dessus a esté faite mention. L’un d’eux tenoit un espieu en sa main, duquel pendoit une banniere, où estoyent les Armories d’ Amsterdam. La Reyne ayant repeu ses yeux de la veuë de ce [fol. F3v, p. 46] tresagreable Spectacle, entra au Palais de Prince qui estoit proche, & là finit la pompe & magnificence de son entrée. C’est la maison en laquelle on a accoustumé de loger les Princes & Gouverneurs de Hollande, quant ils viennent en ceste Ville. Ce qu’arrivant rarement, une partie d’icelle est employée à recevoir le College de l’Admirauté, composé des Duputez des Provinces unies des Pays bas, ayans charge de nettoyer la mer de pirates, & sur tout de resister aux Dunkerquois, & pourveoir à la seureté de l’Ocean & de ceux qui navigent. Il y a une grande cour quarrée au milieu, pavée de pierres de diverse couleur. En entrant, à main gauche on rencontre une belle galerie, bastie par le Senat l’an M D XCIV, quand le Prince Maurice de Nassau, de glorieuse memoire, apres avoir pris Groningue, entra triomphant en ceste Ville. Elle contient plusieurs grandes & magnifiques chambres & sales, esquelles peuvent assez dignement estre receus les plus grands Princes. Il est bien vrai qu’un plus auguste, & plus royal palais estoit deu à uns si grande Reyne: mais la Ville d’Amsterdam ne lui en pouvoit donner un plus auguste, pour la memoire de ses Princes, qu’autresfois elle y a receus. C’a esté le logis de la Reyne tandis qu’elle a sejourné ici. La tres-Illustre Princesse d’Orange fut logée en la belle & grande maison d marchand Elie Trip. Proche de là le Comte de Culembourg, Monsieur de Brederode, & le Grand Veneur de Hollande, eurent leurs departemens ailleurs. Messieurs les Bourgmaistres firent ouvrir à ces Seigneurs le jardin des arquebusiers où il y a une belle maison nouvellement bastie, pour prendre leur repas. La [fol. F4r, p. 47] Reyne estant entrêe en une grande sale richement tapissée, s’assit dans une haute chaire qui lui avoit esté preparée, comme en son throne. Theodore Hasselaer, Sergeant Major de la garnison, & Assesseur du College de la Compagnie des Indes Orientales, logé en un quartir de ce Palais, se laissa charger du soin de pourvoir à tout ce qui estoit requis pour la commodité & seureté de la Reyne. Et s’y employa avec mesme fidelité, & affection que ci devant il a tousjours fait au service de la Ville. Alors Messieurs les Bourgmaistres d’Amsterdam, estans sortis de l’hostel de Ville, dont ils n’ont coustume de bouger, ny quand la ville est esmeuë de joye, ny quand elle est troublée de tristesse, s’en allerent trouver la Reyne avec les Sieurs Guillaume Boreel, & Corneille Boom leurs Conseillers Pensionaires, pour se conjouir avec Elle au nom de la Ville, de son heureuse arrivée. Estans entrez & luy ayans fait la reverence, ledit Guillaume Boreel Sieur de Duynbeke, luy parla en ceste sorte.
SERENISSME PRINCESSE ,
“Messieurs les Bourgmaistres & Regens de ceste Ville, viennent presenter à Vostre Majesté leurs tres-humbles & tres-fideles services: & se trouvent obligez de tesmoigner l’indicible contentement qu’ils reçoivent de l’heureuse arrivée de Vostre Royale personne en ceste bonne Ville. De laquelle ils offrent les commoditez à V. M. la prians qu’il luy plaise d’y faire un long sejour, dont ils se tiendront d’autant plus honorez & obligez. Vostre Majesté verra, s’il [fol. F4v, p. 48] luy plaist, commentdurant ces longues & penibles guerres, la Ville non seulement s’est conservée en son ancien estre, mais aussi a esté grandement augmentée & embellie, sous le bon gouvernement de Messeigneurs les Estats, & les Assistances des Rois qui nous sont alliez; particulierement sous la faveur de V.M. Et comme tout cest Estat en general, se trouve à ceste cause grandement, obligé envers Elle, aussi pour la part qu’y tient ceste Ville, elle taschera de s’acquitter aucunement, selon son pouvoir & l’occasion presente, non point selon la merite de V.M. Les bons Rois et Princes doivent ressembler à celuy qu’ils representent en terre, qui permet que ses tres-grands & assidus bienfaits soyent compensez par une sincere volonté & prompte recognoissance. Laquelle nous protestons estre aussi entiere & ferme en ces Messieurs, comme ils desirent & prient que Vostre Majesté conserve & eux & leur ville à jamais ne ses Royales races & faveurs, auxquelles is font derechef offre de leus tres-humbles & tres-affectionez services.”
    [Response de la Reyne.] La Reyne respondit amiablement à ceste harangue du Pensionaire, Qu’Elle remercioit les Seigneurs de ceste Ville du tesmoignage d’affection & bonne volonté qu’ils luy rendoyent; que dés long temps Elle avoit eu le désir de voir ceste tresrenommée Ville, que maintenant l’occasion s’en presentoit, & qu’Elle vouloit considerer attentivement tout ce qu’il y avoit de beau & de rare. En ayant derechef remercié les Seigneurs de ceste Republique, declara avec des paroles pleines de bienveuillance, que la demonstration d’une si grande courtoisie, luy estoit tres-agreable. [fol. G1r, p. 49] Les Bourgmaistres au partir de là s’en allerent trouver la Tres-illustre Princesse d’Orange, qui a tousjours tenu fidele compagnie à a Reyne durant sos voyage, & apres l’avoir salué & fait offre de leur tres-humble service, se retirerent en l’Hostel de Ville, afin de donner ordre à ce que requeroit l’honneur de la Reyne, & de leur Republique. La coustume porte que quand on fait garde soit au camp soit es villes, le Mot de guet se donne aux Capitaines ou Officiers qui sont en garde. Au camp c’est à faire au General de le donner, & es Villes aux Bourgmaistres. Mais ils defererent cest honneur à la Reyne, tandis qu’elle fut icy, de donner tous les soirs le Mot; & pour la premiere fois elle choisit celuy de MARIE. Ceste tres-prudente Reyne voulant prester son nom à la garde & seureté des bourgeois & habitans, dont Elle avoit recognu l’affection en ce grand accours de toutes parts pour la voir, & en tant de demonstrations de joye & d’allegresse à son arrivée. Mesme Elle reputoit peu de chose, de defendre par le secret du Mot, une Ville pour l’amour de laquelle Elle estoit preste de faire tout ce qui estoit en son pouvoir. Elle souhaittoit que non pas la simple prononciation du nom de MARIE, mais MARIE Elle mesme toute entiere, peust un jour servir à l’avancement de l’honneur & prosperité du Senat & du peuple. Elle se reposoit desja dans son Palais, mais non pas encore nosre cavalerie, ny les compagnies de nos bourgeois. Car en mesme ordre qu’ils avoyent receu la Reyne, l’avoyent conduit par la Ville, & accompagné son carrosse, ils viennent à passer devant son logis, & ainsi n’achevent la pompe de ceste magnifique entrée que bien avant dans la [fol. G1v, p. 50] nuict. Les bourgeois en divers endroits jettans des fusées en l’air en signe de resjouyssance, sembloyent vouloir convertir la nuict en jour. Mais combien que ces fusées esgalissent les faistes des plus hautes tours, toutesfois elles estoyent beaucoup au dessous de la gloire & renommée de Sa Majesté. Il y avoit seulement la pluye qui estoit tombée depuis Midy, qui en faisoit plaindre quelques uns des plus delicats. Et comme les esprits des hommes sont enclins à faire des prognostics, il s’en trouvoit qui disoyent que ceste pluye ne signifioit rien de bon. Mais à l’opposite ceux qui prenoyent plaisir à s’entretenir de joyeuses esperances, disoyent que le ciel ne presagissoit rien de triste, ains plustost toutes choses bonnes & heureuses: que le Soleil s’estoit monstré ce jour là, les Zephyrs avoyent doucement soufflé, Neptune s’estoit un peu esmeu, mais sans orage, pour faire la reverence à la Dame de la mer Françoise, que l’Y & l’Amstel avoyent doucement fremi en leurs rives, Vulcan avoit vomy ses feux par la bouche des machines de guerre, & que le l’esclat de ces foudres la terre avoit esté esbranlée. Qu’aussi Iunon, qui est l’air, n’avoit peu s’abstenir de participer à la resjouyssance publique, & qu’elle n’avoit autrement peu tesmoigner sa joye qu’en amassant les nues, auxquelles elle commande, les resolvant en pluye, & avec ceste fertile rosée descendant dans le giron de la terre pour la faire fructifier. Les autres disoyent qu’on avoit preparé un chariot à Berecynthie, qui est la terre, laquelle ne peut estre obligée d’un plus grand benefice que d’une douce pluye, apres avoir esté reschauffée des rayons de Phoebus. D’autres qui contrefaisoyent les graves, di- [fol. G2r, p. 51] soyent desdaigneusement, que les grands plaisirs ordinairement sont accompagnez de douleur, les choses tristes meslées avec les joyeuses, & que l’insolence de la prosperité est reprimée par l’adversité: comme si ceux-la devoyent este marris de voir leursbeaux habits mouillez de la rosée du ciel, qui ont voüé leurs propres vies au salut de leur Patrie & de l’Estat.
    Le jour suivant fut employé à visiter la Ville. Apres midy les Seigneurs conduisirent sa Majesté en la maison de la Compagnie des Indes Orientales, où la courtoisie des Administrateurs de ceste Compagnie l’avoit convié. C’est un grand & spatieux bastiment, ou il y a divers magasins & lieux propres à garder & exposer au Soleil les espiceries des Indes, poivre, muscades, fleurs de muscade, girofle, canelle & autres semblables. La porte, la cour, les sales & les chambres sont superbes & magnifiques. En la chambre des Administrateurs, où ils ont accoustumé de s’assembler & tenir conseil de leurs affaires, se voyent diverses sortes de peintures estrangeres de la Chine & du Iapon. En l’un des tableaux est representée la grande ville de Batavia, avec sa forte, & inaccessible citadelle; qui est la principale ville & estape de tout nostre commerce aux Indes. Elle est située dans la royaume de Iacatra appartenant à cest Estat. En un autre la nouvelle Zelande ou royaume de Pacan, avec une ville & citadelle nouvellement basties au voysinage de la Chine, & servans d’estape au negoce de la Chine & du Iapon. En d’autres les Isles des Moluques, d’Amboina, & de Banda; les forests portans les espiceries, les forteresses, les villes, les ports aux- [fol. G2v, p. 52] quels les nostres commandent en Orient. Item les lieux circonvoisins de la Chine, qui monstrent le credit & pouvoir des Hollandois parmi des peuples habitans au bout de la terre. En un autre, le Palais du Roy de Iapon, qui n’a point son pareil au monde en grandeur, force & somptuosité. Il y a aussi plusieurs sortes d’armes estrangers pendues aux murailles, piques, lances, javelines, haches, bouclies à l’Indienne, & force autres raretez. Les planchers & galeries, distinguées avec des narreaux en divers receptacles, ployent sous le fardeau des marchandises. Icy se voyent de grands monceaux de soye preparée & non preparée. Là y a aussi des tas d’espiceries, de gommes, de sucs & d’indigo pour les teinturiers, chacun en son propre lieu & reservoir. Bref, toutes les marchandises de ceste sorte dont les Moscovites, Polonnois, Suedois, Danois, Allemans, François, Italiens, Africains, Grecs & Flamens, ont affaire, se trouvent en ceste maison, où comme par un continuel flus & reflus, on apporte les unes & emporte les autres. On y ameine tous les ans, pleins des grands Navires de porcelaine, qui est une sorte de vaiselle de terre tresprecieuse & tresagreable. Scaliger & Cardan estiment que c’est la myrrhine, dont il est parlé es escrits des anciens. Mais à ces navigations pourroit estre à bon droict appliqué, ce que Pline disoit autres-fois de la victoire que Pompée le Grand avoit remporté de Mithridates, qu’elles ont encliné à l’amour des pierreries & de la vaisselle d’outre-mer, les moeurs des habitans de ce pays icy, qui en sont comme rassottez. La Compagnie de ceste maison, de petits commencemens, s’est aujour- [fol. G3r, p. 53] d’huy, par la grace de Dieu, eslevée en telle grandeur & opulence, que les marchans qui dés son premier establissement y ont mis leur argent, ont maintenant huict pour un. C’est icy la Societé qui de ses propres revenus leve des soldats, dresse des armées, sort en campagne, fait des guerres en l’autre monde, prend des villes & fortresses, s’assujettit des isles, equippe des flottes, despouille le Roy d’Espagne de ses terres, ports & destroits, & rompant en un autre Climat les forces d’un si puissant ennemy, soulage grandement les travaux de sa chere patrie. En somme elle fait & execute des choses qui ne sont gueres esloignées des entreprises des grands Princes.

Sur la Maison de la Compagnie des Indes Orientales.

    FEcit iter Fortuna mari, pervenit ad Indos,
        Et procul Eoo fixit in orbe pedem.
    Memnoniae patuere Domus, patuere Moluccae,
        Regnaque federibus tot sociata novis.
    In thalamos Aurora tuos jam classibus itum est,
        Et Batavos alibi, tectaque nostra vides.
    Non satis est vicisse domi. cum Sole vagamur,
        Et tanto volupe est vincere teste foris.
    Sint vestra merces Indi, sumus horrea Belgae.
        Quas Oriens fruges parturit, Arctos habet.
    Servat hyems merces, quas torrida coxerat aestas,
        Et calidum gaudet mandere bruma piper.
    Mittunt thura Arabes, permutant serica Persae,
        Et spaciosa suas Java ministrat opes.

[fol. G3v, p. 54]
    Parthica distentas onerant velamina puppes,
        Poclaque Sinarum carbasa plena vomunt.
    Ostia quot fundit Ganges, tot navigat unus
        Amstela, & externo sub Jove bella gerit.
    Lucra sinus omnes nobis atque aequora pandunt,
        Inveniunt quovis littore lucra viam.
    Hesperio cum Rege solum partimur & undas,
        Et formidati frangimus arma Tagi.
    Qui dubitas, castella, domos, arcesque tuere,
        Atque alio patriam crede sub axe dari.
    Sic aliis alius populis divenditur orbis,
        Totaque se vendens machina, rursus emit.
    Quaeque ferax longè spatiis immanibus Eos
        Colligit, in Batavis continet una Domus.

Desquels vers Latins le sens est.

LA Fortune s’estant fait chemin par les ondes
S’est trouvée en flottant dans les Indes fecondes,
Elle a posé son pied bien loin dans l’Orient,
Et fendu de sa nef les vagues du Levant.
(5) Les Palais de Memnon, Iava & plusieurs Isles,
Luy ont ouverts leurs ports, luy ont ouverts leurs villes.
Un chacun l’a receuë, & les Roys alliez,
La retirans chez eux se sont creus obligez.
Aurore ce fust lors que la flotte Hollandoise
(10) Vint surgir dans tes ports, & que premier courtoise,
Tu luy permis bastir sa demeure chez toy,
Et recueillir tes fruicts pour un autre & pour soy.
Hollande ne pouvant contenir nos victoires,
Nous suivons le soleil, & cerchons d’autres gloires,

[fol. G4r, p. 55]
(15) Nous reputans heureux d’avoir un tel tesmoin,
Des plus rares exploits que nous faisons fort loin.
Indiens cest de vos champs que tous ces biens là viennent,
Que nous avons chez nous, que nos greniers contiennent.
Les fruicts que l’Orient nourit en ses jardins
(20) Se voyent sous le Nord dedans nos magazins.
Le Persan fait trafic avec nous de ses soyes;
Java nous departit sa richesse & ses proyes.
L’Arabe envoye icy ses meilleures senteurs,
L’encens & le Benzoin, & ses riches sueurs.
(25) La Parthe nous fournit de cotton & de toille,
Le Chinois de sa terre & fragile vaisselle.
Un seul Hollandois fend de sa Pouppe au travers
De tous les bras tortus du Gange, & de ses mers.
Sous un ciel estranger nous dressons des trophées,
(30) Et navigeons par tout enseignes desployées.
Les mers ouvrent par tout leur ports à nostre gain,
Es Moluques, Iapon, & rivage lointain.
L’Espaignol departit avec nous tout le monde:
Le Tage redouté craint nous voyant sur l’onde.
(35) Que si vous en doutés regardés nos rempars,
Nos chasteaux, nos maisons, nos forts, nos boulevars.
Croyés que nous avons bien loin dans l’autre monde,
Basti une patrie en terre fort feconde.
Ainsi l’autre Univers se vendant aux humains,
(40) Rachete puis apres les pays plus lointains.
Tout ce que l’Orient dans sa vaste estenduë,
De sa chaleur produit, s’expose icy en veuë.
Et tout ce que l’Aurore a de riche chez soy,
Se voit en mon logis & se trouve chez moy.

[fol. G4v, p. 56]
    [Festin composé des drogues d’Orient preparé à la Reyne.] La Reyne entrant en ceste maison par une cour dont le pavé estoit tapissé de beaux draps, les Administrateurs de la Compagnie, luy avoyent preparé dans la grande sale un festin qui ne contentoit pas seulement le palais, mais aussi estoit propre à resjouyr les yeux & le nez. La magnificence d’un Roy luy eust peu dresser une plus somptueuse table, mais la maison des Indes ne luy pouvoit rien presenter de plus convenable. Car ceste table n’estoit couverte que de mets particuliers aux Indes, des fruits & revenus de ce pays là, servis en guise de viandes.
    Les anciens ont fait grand estat des paons de Samos, des gelinottes d’Ionie, des grues Melices, des chevreaux d’Ambracie, des thons de Chalcedoine, des helopes de Rhodes, des scares de Cilice, des huistres du lac Lucrin, des laictances de Murenes, des barbeaux de Marseille, des langues de Phoenicopteres. Il n’y avoit point icy de telles friandises & delicatesses: mais seulement des fruicts & presens de Perse, d’Arabie, des Moluques, du Iapon, de la Chine, dans de grands bassins de Porcelaine, agencez avec en bel ordre sur des longues tables; dont la nouveauté apporta un grand contentement à Sa Majesté. On y avoit servi du poivre rond & du poivre long fort beau à voir. La fleur de muscade, & les muscades de trois sortes, les unes enfermées dans leurs gousses où enveloppoirs, les autres couvertes de leurs fleurs, les autres confites rendoyent tesmoignage de la beninité des Moluques. Une haute pile de bastons de canelle mis en croix, monstroit combien excellentes plantes nourit l’Orient. Un grand tas de girofles & des pacquets de soye preparée & non preparée, fai- [fol. H1r, p. 57] soyent voir les richesses & l’industrie de la Perse & de la Chine. Le Borax y resjouyssoit les yeux par sa blancheur, le Benzoin le nez par sa bonne odeur. Le musc, le styrax, les santaux, & l’Indigo tenoyent aussi leur place en ce banquet. Entre les mets servants à la recreation de la veuë, y avoit encor le vermeil sang de Dragon, des tablettes du suc de fleur de muscade, & la Goutte gambe, dont le jaune doré brilloit entre les autres couleurs. L’encens & la myrrhe des Sabeens, dont autresfois on faisoit des encensemens aux Dieux, servoyent alors de parfum à la Deesse de la France. Les Cubebes & la Rheubarbe, les longues Cannes de succre, & le salpetre dont on fait la foudroyante poudre à Canon, n’y estoyent point omis. Il y avoit pareillement de la gomme, laque, & de la cire, & des huiles de muscade & fleur de muscade de grand prix, & du gingembre d deux sortes confit & non confit.
    Les yeux & les mains de la Reyne se poumenoyent parmy ces mets estrangers & inusitez, & par une plaisante fantasie, Elle s’imaginoit banquetter avec les Indiens, Moluquois, Persans, Arabes, Iaponnois & Chinois. Elle desdaignoit en comparaison de ces viandes icy, les autres ordinaires & journalieres, faisans, perdrix, levrauts, sangliers, & toutes les autres delicatesses que les friands recerchent avec une desmesurée despense, pour rassasier leur appetit. On ne s’estoit pas proposé icy d’assouvir la prodigieuse avidité d’Asinius Celer, ou d’Apicius, ou de Claudius, ou de Caligula, ou d’une Cleopatre. On n’y avoit pas appresté des poissons peschez en une mer estrangere, ny des oiseaux nourris sous un autre climat, ny des [fol. H1v, p. 58] fleurs d’autre saison. On n’y avoit pas fait comme ceux qui en hyver espandent des roses nouvelles sur le vin, ou au coeur de l’esté prennent plaisir à boire dans de la glace. Tout y estoit sans luxe & sans prodigalité; ils ne faisoyent monstre que de ce qui a accoustumné d’estre apporté icy tous les ans d’Orient.

Sur le festin des fruits Orientaux preparé à la Reyne Mere.

        VIdit, & insolitas mirata est Regia mensas
                Mater, & Eoas attigit ore dapes.
        Stabant ante oculos messes, quas miserat Indus,
                Quas dederant Persae, quas preciosus Arabs.

        (5) Delibat MEDICEA suis fragrantia cannis
                Cinnama, & externo fercula missa solo.
        Adspicit Aurorae segetem, thus, balsama, myrrham;
                Et spaciis Superûm munera stare suis.
        Haec oculis placuere magis, magis illa palato,

                (10) Gustus, odor, partes hic obiere suas.
        Talia non posuit Thetidi convivia Peleus,
                Non epulis istis accubuere Ioves.
        Non haec adspexit Latium, cum victor ab hoste
                Romulidûm intraret moenia Caesar ovans.
       
(15) Tunc aliquis dixit secum: quae fercula ΚÓΣΜΟΣ
                Hîc parat, haec COSMIfilia grandis edit.

Desquels vers Latins le sens est:
        LA Reyne vid icy, & d’un oeil tout ravi
        Contempla les douceurs d’Orient apportées,
        Et gousta des presens, que portent à l’envi
                Les Isles fortunées.

[fol. H2r, p. 59]
        (5) On luy servit pour lors les fruicts & les moissons
        Des Moluques, Iapon, du Royaume de Perse,
        Elle vid devant soy les senteurs & les dons,
                Que l’Arabe nous verse.
        Lors la Grand
MEDICIS en estendant sa main,
       
(10) Prist, rompit, & gousta l’odorente canelle,
        Comme aussy d’autres mets servis à ce festin,
                De la terre nouvelle.
        Puis contemplant les biens dans l. Orient produits,
        Le Borax & l’Encens & la goutte de Myrrhe.
       
(15) Plus Elle tient ses yeux colés sur ces beaux fruicts,
                Plus Elle les admire.
        Les uns plaisent aux yeux, les autres au palais:
        L’odorat & le goust font icy leurs offices.
        En devant sa Thetis Peleus ne mit jamais,
               
(20) De si rares services.
        Les Dieux n’ont point gousté d’un si bel appareil:
        Ni quand tout triomphant Cesar entra dans Rome,
        L’Italie ne vit rien qui fust de pareil,
                A ces mets & ce Baume.
       
(25) Lors quelcun dit tout bas, ce que va produisant,
        Tout ce grand Univers que les grecs nomment
KOSME,
        C’est ce que gouste icy & mange maintenant,
                La fille du Grand
COSME.

    La Reyne se contentant de gouster quelques uns de ces mets, & de regarder ou manier les autres, dit d’un visage riant que cest appareil de fruits & delices estrangeres luy avoit merveilleusement pleu, & s’en estant allé voir les principales chambres de la maison, & contemplé les tableaux des conquestes & possessions de la Compagnie des Indes, avec autres raretés, en partant remercie les Administrateurs. [La Reyne visite les principaux endroits de la Ville.] Cela fait Messieurs les Bourgmaistres [fol. H2v, p. 60] la menerent pourmener par la Ville avec toute sa suitte.
    Elle vid les bastimens fondez sur des pilotis, & eslevez au milieu des marescages. Car ceste Ville aussi bien que Venise nage dans les eaux. Elle vid come la terre par travail & industrie est contrainte d’obeyr, & de porter malgré soy des immenses fardeaux, lesquels estant laissée en sa nature elle engloutiroit entierement. Elle vid comme la grande augmentation faite depuis peu d’années en ça, esgale le circuit de la Veille Ville. Elle considera les larges & profonds canaux, qui comme rivieres arrousent la Ville de toutes parts, & sont trescommodes à transporter les marchandises là où on veut. Se pourmenant le long du Canal Royal, autrement appellé le Cingle, puis de celuy des Seigneurs, & apres de l’Imperial, qui sont d’une telle estendue que de l’un des bouts on ne peut descouvrir l’autre. Elle vid par tout des belles & magnifiques maisons, merveilleusement commodes pour toute sorte de trafic, & d’une varieté tres-agreable, esquelles l’industrie surpasse de beaucoup la nature. Principalement Elle s’estonna de voir le Canal Imperial, lequel, (s’il en faut croire ceux qui ont voyagé) n’a point son semblable en toute l’Europe, soit qu’on regarde la longue & continuelle suitte de maisons, soit l’elegance, beauté & commodité de la structure, soit la varieté de frontispices, des portaux & des faistes, bastis en partie à la Toscane, en partie à la Dorique, ou à l’Ionique, ou à la Corinthienne, soit les divers ponts de briques servans à conjoindre les deux costez du Canal, soit finalement les belles rangées d’arbres, dont ses bords sont par tout revestus. Elle [fol. H3r, p. 61] vid les belles Eglises consacrées à l’honneur de Dieu, non seulement des siecles precedens, mais aussi basties il n’y a pas fort long temps, afin que ceux-là qui admirent à bon droict la pieté de nos ancestres, ne pensent pas que maintenant elle soit du tout esteinte entre nous. Elle vid les escluses, qui sont comme des barrieres que l’industrie de hommes a faites pour arrester le desbordement des rivieres, & l’impetuosité des vagues de la mer, & par fois aussi servent, si la necessité le requiert, à lascher les eaux, & les destourner ailleurs. Elle considera les hautes tours, tant au milieu de la Ville, que sur la rive du fleuve, eslevées comme des Phares, avec une varieté de colomnes tres-agreable à voir, & si bien percées, que quand le Soleil donne dessus, rien n’empesche ses rayons de passer de part en part. Tournant sa veuë sur la tour du Temple Occidental, Elle vid au faiste une Couronne Imperiale, qui est un ottroy de son bisayeul, & prit plaisir à regarder comme la liberalité de ses ancestres estoit eslevée jusques au ciel par la recognoissante posterité. Elle rencontra aussi en son chemin en divers Canaux plusieurs quais ou reposoirs de Navires, comme de celles de Londres, de Rouen, de la Rochelle, de Hambourg, de Lubec, d’Anvers, de Harlingue, & d’autres sans nombre. Elle vid des grandes piles de toutes sortes de bois, de poutres, chevrons & de planches, occupans une longue estendue de chemin, apportez icy de Russie, de Livonie, & de Norwege, ou mesmes des forests de la Frise Orientale, & de Westphalie. Laquelle matiere on employe ou à bastir des maisons, ou à construire des flottes, ou à faire des digues qui repriment [fol. H3v, p. 62] la fureur de la mer meridionale. Elle rencontra les belles places de marché, & les spacieux havres servans ou à refaire les Navires rompus, ou à en bastir des neufs. Elle vid la grande multitude de magasins faits pour resserrer toutes fortes de marchandises, contenans les uns des grands tas de dents d’Elephant, ou de bois de Bresil, les autres une merveilleuse quantité de lard de Baleine, les autres du tabac, les autres des cuirs, les autres du fer, les autres du cuivre. Elle passa aussi par les verreries, es fourneaux desquelles un feu continuel est entretenu, pour faire toutes sortes de vaisseaux de verre; les uns avec le souffle, les autres au tour, les uns argentez, les autres dorez. Ce temparament de verre flexible despleut autresfois à l’Empereur Tibere, lequel craignant que les autres metaux en fussent moins estimez, destruisit l’ouvroir d’où estoit procedée une si gentille invention. Il estoit à propos que la Reyne, qui par son affection & bienveuillance envers nos marchands n’a pas peu accreu ce Cornet d’abondance d’Amsterdam, vist ces choses au moins en passant. Et convenoit que ceste Divinité terrestre arrestast un peu ses pensées à la consideration de si grandes richesses, pour recognoistre qu’elles procedent toutes de la beneficence & liberalité du Dieu souverain.
    En ceste mesme pourmenade Sa Majesté vid la maison de la Compagnie des Indes Occidentales, dont les portaux, toict, escaliers, sales, chambres, magasins sont tout amples & fort beaux à voir. C’est icy la maison qui à monstré la premiere qu’on pouvoit aller en Occident & se l’assujettir: laquelle cependant que l’ennemy attaque nos villes en ce pays, à l’exem- [fol. H4r, p. 63] ple de Scipion l’Africain, le fatigue & consume ses forces en un climat estranger. Ainsi tasche elle d’acquerir la paix au vieil monde, en despouillant le nouveau de ce qui sert à entretenir la guerre. Par sa vaillante & sage conduite nous avons conquis des grandes villes au delà des Tropiques & de l’Equateur, & par la grace de Dieu les possedons encor à present. Nostre pays luy est obligé de ce que nous sommes maistres des ports, des rivieres, des golfes, des forteresses, des caps, des isles, & des moulins à succre du Bresil. C’est elle qui par un tres-heureux succes, a envoyé en ces terres incognues aux anciens, des Generaux de la maison de Nassau, des soldats, des armes, & des flottes de guerre, & par une insigne hardiesse a emporté sur l’Espagnol la ville de S. Sauveur; qui a pillé & mis le feu es Navires ennemis, qui a triomphé d’Olinde & de ses forteresses, & s’est rendue maistresse d’une grande estendue de pays au Bresil. C’est elle qui sous la conduite de l’Admiral Pierre Heyn, a desfait au rivage de Cuba la flotte de Mexique, chargée d’or, d’argent & de marchandises tres-precieuses, & par une valeur sans exemple, a la premiere apporté, non point en Grece mais en Hollande, ceste toison d’or tant redoutée des Princes de l’Europe. Par son moyen nous possedons une autre Belgique de là la mer, où nous trouvons d’autres compatriotes; & tenons les ports & rivages d’Afrique abondans en or. De sorte que nostre Republique appuyée sur la force de deux Compagnies, estend son Empire aussi loing que le Cours du Soleil.
    [La place du Marché.] La Reyne Mere se trouva aussi en la belle & spatieuse place du Marché, qu’on appelle vulgairement [fol. H4v, p. 64] le Dam, c’est à dire la digue, pource qu’elle sert de digue & de separation aux rivieres d’Amstel & d’Y. Tous les Lundis le marché se tient en ceste place; les autres jours elle sert de pourmenoir aux marchands, à l’exemple du marché en Rome, duquel Plaute disoit, Que le gens de bien & les riches s’y pourmenent. [L’Hostel de Ville.] En ce lieu là Elle vid l’HOSTEL DE VILLE, & LE POIDS. Quant à l’Hostel de ville il est venerable seulement à cause de son antiquité. Les autres nouveaux ouvrages de la Ville resplendissent en une agreable beauté, Mais cestuy-cy n’est recommandable que par sa vieillesse & murailles qui menacent ruine. La ville qui reluit par tout ailleurs, monstre icy son ancienne simplicité. Ceste maison qui apporte de l’honneur, de la magnificence, de la grandeur & de la force au reste de la ville, se le refuse à elle mesme. Elle tombe en ruine, tandis que çà et là elle dresse divers somptueux bastimens. Et celle qui a la premiere pensé à l’embellissement d’Amsterdam, pense à soy la derniere, aymant mieux servir au public par ses conseils, que cercher sa gloire & splendeur particuliere. Celle qui est renformée dans des estroictes espaces, estend ses limites au long & au large. Les Seigneurs par la sage conduite desquels on navige jusques aux bouts du monde, sont logez estroictement en un petit coin de leur Ville. Ceste maison de laquelle l’heureux trafic n’est limité d’aucunes bornes, ne contient que peu de pas en son estendue. Elle qui ravit les estrangers en admiration, ne veut pas paroistre magnifique aux yeux des siens. Elle n’employe point à son usage propre l’argent & l’or qu’elle conserve soigneusement en ses thresors, comme le patrimoine des bourgeois.
[fol. I1r, p. 65]
    Elle vid aussi en ce mesme endroit le POIDS, qui est une maison bien bastie, en forme quarrée, avec des ballustres & appuis tout autour par le haut, pour s’y pouvoir pourmener sans danger. On y entre par quatre portes, qui respondent aux quatre coins du monde. A chacune d’icelles on pese avec des grandes ou moyennes balances les marchandises, dont tous les jours ceste maison est comme assiegée; de forte qu’a peine y peut elle fournir. Elle apporte un tresgrand revenu au thresor de la Ville, & de la Province. La Princesse de MEDICIS vid ces balances, le jour que le Soleil entre au mois de la Balance. Et combien que ceste maison soit inferieure en grandeur aux superbes palais de Florence, toutesfois à peine puis-je croire qu’il s’en voye aucune en toute l’Europe qui ait un plus grand revenu.
    Passant le pont de briques qui conjoint les deux rives d’Amstel, se presenta aux yeux de la Reyne, le superbe pourmenoir des marchands, qu’on appelle la BOURSE, de tresbelle structure. Toute ceste grande masse de bastiment est posée sur des voutes, & quarante colomnes de pierre soustiennent le dessus: de sorte qu il semble que les siecles mesmes qui consument tout, ne peuvent dissoudre cest assemblage.Il est difficile de dire en quoy ce bastiment excelle le plus, ou en la rareté de l’invention, ou en la somptuosité & magnificence, ou au profit qu’il apporte. Il est environné par le bas du costé des rues & de l’Amstel, de vingtsix boutiques. Mais le haut, où on monte par des beaux escaliers, fait voir plus de cent boutiques fournies de toutes les sortes de plus belles & gentilles merceries qu’on sçauroit desirer, tant estran- [fol. I1v, p. 66] geres que domestiques, & naturelles qu’artificielles. C’est icy ou se font les contracts par lesquels tout le monde est vendu & acheté. Icy on ne discourt que du prix des choses, du troc des marchandises, de charger ou descharger des* Navires, de mettre de l’argent à interest, d’en faire tenir en un lieu & d’en retirer l’aure. Les anciens escrivains font mention de sept fabriques, qui ons esté reputées pour autant de miracles: asçavoir, du temple de Diane d’Ephese, de la sepulture du Roy des Medes, des murs de Babylon, & des Pyramides d’Egypte. Mais la Reyne n’en a plus fait d’estat, apres avoir tant veu de choses admirables en une seule Ville. On leur a deferé de l’honneur, pource qu’elles estoyent les premieres, & qu’en ces rudes siecles tout ce qui paroissoit de nouveau & inusité, à bon droit estoit prisé. Mais maintenant toute ceste Ville ne semble estre autre chose qu’un miracle, quand ce e seroit que pour ceste seule cause, que cerchant par artifice de luy donner des solides fondemens, elle a esté toute bastie & appuyée sur les forests du Septentrion qui y ont esté transplantées, d’où elle s’est eslevée en ceste beauté, grandeur & Majesté qu’on y voit. Par dessous elle est basse & abjecte, par dessus magnifique & relevée: Par dessous elle est marescageuse, par dessus seiche & nette: par dessous elle est de bois, par dessus de briques & de marbre; par dessous elle est instable & mobile, mais maintenant ayant planté tant de forests au fond, elle est non moins dessous que dessus stable & immobile. Sur quoy a esté fait ce distique Latin:

[fol. I2r, p. 67]

        Invertas, sit tota nemus, quo condita fundo est,
                Nuper Hyperboreo pinus in orbe fuit.


C’est à dire:
        Que si on renversoit ceste puissante Ville
                Qu’Amstel a sur son bord,
        On verroit des forests, despouilles de quelque isle,
                Assise sous le Nord.


Le Vendredi se passa à des nouveaux Spectacles qu’on fit voir sur l’Amstel, au costé meridional de l’escluse du Dam, vulgairement appellé le Rockin. Car la riviere d’Amstel, entrant dans la Vile du costé du Midy, & allant tout droict jusques à l’escluse du Dam, par où elle se descharge dans le Damerac, vers le Septentrion se mesle avec l’Y, divise la Ville en deux parties, dont l’une est appellée le viel costé, & l’autre le Nouveau.
    [Arcs triomphaux dressez en une isle flottante sur l’Amstel.] La partie Meridionale de l’Amstel enclose entre deux ponts, fournit le lieu tant à ceux qui preparoyent des Spectacles de choses nouvelles, qu’aux curieux & attantifs regardans. Des nouveaux Arcs triomphaux faits en forme de maison, qui estoyent l’ouvrage d’une nuict, furent dressez en une Isle, laquelle avec une merveilleuse vistesse fut amenée, par des paysans, de certains marescages qui sont à une lieuë & demy de la Ville, & flottoit sur les eaux comme une autre Delos, ou Samos, ou Nerite, toute verdoyante d’herbage, & remplie de joncs & de roseaux. L’une des faces de ceste maison regardoit le Midy, [fol. I2v, p. 68] l’autre le Septentrion, afin que quand la Reyne viendroit, elle luy representast des deux costez nouveaux Spectacles. Les jours precedens avoyent veu la terre faire hommage à sa Majesté Royale, mais cestuycy les eaux se sont voüées à son service. Alors on se pourmenoit en carrosse par la Ville; maintenant on employe les barques & fregattes pour aller sur les eaux. Alos les spectateurs couroyent çà & là pour voir ce qui s’y passoit; maintenant ou ils s’arrestent sur le bord de la riviere, ou biens ils voltigent sur l’eau. Alors furent veuës les principales parties de la Ville; maintenant sont representez des spectacles concernans pour la plus part la Reyne, les Toscans & les François. Toute la Ville y estoit accourue, & le peuple s’estendant jusques vers les rampars occupoit presque un quart de lieuë de pays. On voyoit sur la rive des grosses troupes d’hommes, de femmes, de garçons, & de jeunes filles. Tous y estoyent peslemesle, les riches & les povres, les marchands & les courretiers, les naturels du pays & les estrangers, les François avec les Anglois. Chacun estoit enflammé d’une mesme ardeur, de voir quelque chose de rare & inusité. Les ponts comme les plus commodes ployoyent sous le fardeau des regardans, mais il y falloit acheter les places bien cherement. Es fenestres des maisons qui sont de costé & d’autre du canal, on ne voyoit pas seulement une personne ou deux, mais des essains & des armées, & ce n’estoit point pour tout gratuitement. Les plus agiles montoyent sur les arbes. Il y en avoit entre les matelots, enfans de Neptune, qui se tenoyent suspendus aux [fol. I3r, p. 69] pieux où on a accoustumé d’attacher en l’eau les batteaux, & avec une merveilleuse addresse donnoyent le contrepoids à leurs corps, de peur qu’ils ne panchassent plus d’un costé que d’autre. Le menu peuple s’estoit juché sur les ballustres des tours & planchers des maisons à demy basties. Et combien qu’il nu fust pas permis à tous indifferement d’entrer en ceste partie de l’Amstel, toutesfois plusieurs petits batteaux pleins de gens, s’y estoyent glissez, qui attendoyent sur les rives ce qui arriveroit. Toute l’espace qui est entre les deux ponts servoit d’Amphitheatre. On rapporte que la Reyne dit, que ny en Italie, ny en France, non pas mesme à Paris Ville tres peuplée, Elle avoit jamais veu une si grande multitude de gens ramassée ne un lieu si estroict.
Midi estoit desia passé quand ceste tres-ilustre Reyne sa monstra derechef au peuple d’Amsterdam. Elle vint avec la Princesse d’Orange, l’Escoutette, & les Bourgmaistres, en une belle barque couverte & magnifiquement tapissée. Les Senateurs, les Eschevins, les Seigneurs de l’Admiraulté & principaux bourgeois, estoyent en d’autres batteaux. Alors furent ouvertes deux escluses, opposées l’une à l’autre. L’une appellée l’escluse de Gremenesse, rendit sa Majesté dans l’Amstel, & comme Elle s’approchoit, l’autre appellée l’escluse aux boeufs, soudainement ouverte, jetta d’impetuosité devant Elle dans un bouillon d’eau, Neptune nageant & luy venant à la rencontre. Il avoit pour chariot une coquille, comme il convenoit au Dieu de la mer. Ce chariot estoit traisné par des chevaux marins, aboutissans en pois- [fol. I3v, p. 70] sons, avec des pieds escaillés, ayant la teste & le dos hors de l’eau. On voyoit dans la coquille ce Dieu de la mer avec des longs cheveux blancs tout herissez, & une barbe mal peignée & couverte d’escume, tenant son terrible trident en la main, le visage refroigné comme un viellard chagrin, le corps nud & conduisant ses chevaux avec des longues resnes. Un batteau suivoit Neptune, en la pouppe du quel estoit assis Mercure, qu’on tient estre le Dieu de l’eloquence, & le patron & protecteur des marchands. Il portoit, selon sa coustume, un bonnet ailsé, & tenoit en sa main droite son Caducée, avec lequel il retire les ames des enfers, ou bien les y envoye.
    A son costé estoyent quatre Najades, dans des layettes de boys qui les couvroyent jusqu’aux espaules, ayans le front ceint de couronnes verdes, tissues de alge, de mousse, de feuilles & de fleurs, qui representoyent l’Europe, l’Asie, l’Afrique & l’Amerique. Chacune d’icelles tenoit entre ses bras comme une Corne d’Amalthée, remplie des fruicts & revenus que donnent ces quatre parties du monde. Sur la proüe se voyoit une belle Vierge representant Amsterdam, laquelle enclinant son corps, pour faire la reverence, congratuloit la Reyne de son heureuse arrivée. On tenoit que ce spectacle convenoit bien à la Reyne, qui en la personne de ses enfans domine sur plusieurs mers: & à la vile aussi, qui est obligée au vray Dieu, seul Seigneur de la mer, du commencement, du progres, & de la continuation de sa prosperité.

[fol. I4r, p. 71]

Sur la figure de Neptune, de Mercure, & de la Vierge d’Amsterdam, nageans dans les eaux.

        NEptunus ille, quem videtis fluctibus
        Tolli severa fronte, canis horridum,
        Saevum tridenti, maximi Deum maris,
        Cujus marina monstra currus ductitant,

        (5) Hinc inde lusitante Najadum choro.
        Et ille puppi celsus eminens nepos
        Atlantis, artis arbiter mercantium,
        Fandi peritus, emptor idem & venditor,
        Nunc sortis author optimae, nunc pessimae,

        (10) Anceps favendi: Quaeque Virgo pulchrior
        Vultu decenti flectit obvium genu:
        Gratantur omnes Galliarum Numini,
        Pronisque votis Principi se devovent.
        Neptunus offert caerulas Ponti vias,

        (15) Facilesque fluctus, strata ventis aequora,
        Quà filiorum sceptra jus exporrigunt
        Gallus, Britannus, praepotensque Cantaber.
        Tegeaeus iste priscus interpres Deûm,
        Urbem Parenti Liliisque consecrat.

        (20) At Amstelis Virago Neptuno suo,
        Cyllenioque nixa, mercantes Deos
        Subdit coruscae
PRINCIPI, hanc ipsam DEO.

Lesquels vers nous avons exprimés par les suivans:

        CE Neptune cinglant sur le dos de ces ondes,
        Dieu du grand Ocean, Roy de toutes ses bondes,
        Les cheveux herissés, & qui tient un Trident,
        Monté dessus un char qui les mers va fendant,

[fol. I4v, p. 72]
        (5) Que des monstres marins, parmy les eaux bruyantes,
        Tirent, environnez, de Najades jouantes.
        Ce Dieu que vous voyés, protecteur des marchans,
        Ce Mercure empenné, pere des bien-disans;
        Qui tantost est l auteur d’une fortune heureuse,

        (10) Tantost d’une mauvaise, ou bien d’une doueuse.
        Et la Vierge d’Amstel qui se panche devant,
        Le visage serein, le front doux & riant:
        Font offre de leurs voeux à ceste grand Princesse,
        Que le François adore & tient pour la Deesse.

        (15) Neptune offre ses mers & ses champs ondoyans,
        Par tout où luy plaira d’aller voir ses enfans,
        Promettant de tenir les flots dans leurs rivages,
        De calmer tout les vents, empescher les orages:
        Soit qu’elle veuille voir l’Espaignol, ou Françoys,

        (20) Ou mouiller l’ancre aux ports qu’occupent les Anglois.
        Le Massager des Dieux, en suivant son office,
        Luy dedie & aux Lys, la Ville & son service.
        Et ceste Vierge cy offre tout à la fois,
        Et Neptune & Mercure à la
MERE des ROYS.
        (25) Puis se consacre aussy soy mesme & ses pensées,
        Au grand
DIEU de ce Tout, auteur des destinées.

    [Le mariage de François de Medicis & de Ieanne d’Autriche.] De là la Capitainesse qui portoit la Reyne, se tourna vers la partie Septentrionale de l’Isle, ou premierement fut representé le mariage de FRANCOIS DE MEDICIS, & de IEANNE d’AUSTRICHE, les pere & mere de MARIE DE MEDICIS, en la presence du Tres-Auguste Empereur FERDINAND, son ayeul. Ce FRANCOIS estoit fils de COSME, qui de Duc de Florence a le premier obtenu le titre de grand Duc de Toscane, par les suffrages du Pape PIE V. Tellement que la Reyne du costé paternel, est issue [fol. K1r, p. 73] de ceste famille, que COSME DE MEDICIS, à qui par ordonnance publique le surnom de Pere de sa patrie a esté donné, a rendu illustre: duquel, PIERRE DE MEDICIS, imitateur des vertus de son pere, n’a pas esté indigne successeur, ny LAURENT le grand, & son frere IULIAN, appelle communement le Prince de la jeunesse, afin que je ne parle point de IEAN & de IULES DE MEDICIS, qui ayans esté eslevez à la dignité Papale, ont pris les noms, l’un de LEON X, & l’autre de CLEMENT VII, & n’ont pas apporté un petit ornement à la maison de MEDICIS. Sa mere IEANNE d’AUSTRICHE, fille de l’Empereur FERDINAND, de treslouable memoire, se glorifie de PHILIPPE d’AUSTRICHE, Roy d’Espagne son ayeul, & de MAXIMILIAN son bisayeul: qui avoit espoulé MARIE , fille de CHARLES le Hardy, unique heritiere de ces pays icy. Entre les grands oncles de la Reyne a esté l’Empereur CHARLES V, Prince & Seigneur de tous les Pays bas; qui tient l’un des premiers rangs entre tous ceux qui ont jamais manié les armes, en cognoissance de l’art militaire, felicité, grandeur de courage, prudence es dangers, & promptitude à executer des grandes choses. Tels sont les parens & ancestres dont est sortie la Princesse MARIE. Son lieu natal est la Toscane, anciennement appellée Etrurie, province celebre à cause des religions qui y avoyent la vogue; dont le peuple Romain a transferé à son usage les faisceaux, les robbes brochées de pourpre, les chaires d’yvoire, les anneaux, les casaques, & les ornemens triomphaux. Car il n’estoit point convenable, qu’une Princesse qui devoit commander à tant de peuples, & estre Mere [fol. K1v, p. 74] de tant de Rois nasquitailleurs, que là, d’où l’Emperiere Rome n’a point eu de honte d’emprunter les ornemens qui relevoyent la dignité de l’Empire.

Sur le Mariage de

FRANCOYS DE MEDICIS,

Grand Duc de Toscane, & de

IEANNE D’AUSTRICHE

Fille de l’Empereur FERDINAND.

        AUSTRIACAE vultus, & te, FRANCISCE, Theatro
        Sistimus, & Batavis foedera prisca damus.
        His nati rexêre Duces,
MEDICEAQUE latè
        Lumina conjugiis emicuere novis.

        (5) Haec inter MARIA est, raro quae munere Divûm,
        Non nisi per Regum nomina Mater abit.
        Hoc demum est peperisse; Orbi donasse tiaras.
        Sic sua stant regnis robora, sic thalamis.


C’est à dire:
        NOus faisons comparoir aux rivages d’Hollande,
        IEANNE Fille d’AUSTRICHE & toy Prince FRANCOYS,
        Vostre heureux mariage. Icy les Hollandoys,
        Voyent vos fronts parés de laurier, & guirlande.

        (5) Les grands Ducs engendrés de ces deux personnages,
        Ont regi les Toscans, pleins de gloire & d’honneur.
        Le nom de
MEDICIS a espars sa lueur
        Es pays esloignés, par plusieurs mariages.
        Entre iceux tient son rang la Princesse
MARIE,
        (10) Qui par un don de ciel inouy autres-fois,
        Ne se nomme que Mere & de Ducs & de Roys,
        Qui regnent en Europe, Amerique & Asie.

[fol. K2r, p. 75]
        On peut donc à bon droit tenir cest assemblage
        Pour heureux, qui a mis au monde tant des Roys.

        (15) Et c’est par ce moyen que sont fermes les Loix,
        Des Empires, Estats & du Sainct mariage.


    Lors la Scene estant changée, l’Empereur MAXIMILIAN se presenta sur le theatre, avec un accoustrement convenable à sa grandeur, environné des Electeurs de l’Empire, & donnant une Couronne Imperiale à Amsterdam. Il descendoit de son throne pour faire ce present à la Ville, qui comparoissoit là en la forme d’une Vierge, prosternée aux pieds de l’Empereur, & recevant avec reverence & humilité ceste Couronne qu’il luy donnoit. En la face de l’Empereur reluisoit une Majesté digne de l’Empire, & des marques des anciennes vertus de prudence, justice, vaillance, & douceur. Au visage de la Vierge apparoissoit une ravité sans affectation, assaisonnée d’une singuliere humanité & courtoisie. Ses habits de diverses couleurs donnoyent du lustre à tout le theatre, & une non petite recreation aux yeux des spectateurs. Car le blanc, le violet, le jaune, l’incarnadin, le verd, l’escarlatte, & autres couleurs gayes y estoyent entremeslées avec une merveilleuse grace. Mais il ne s’y voyoit point de noir, de minime, ny de semblables couleurs tristes & de mauvais augure.


Sur la donation de la Couronne.

        AMstela, qui latè terris mercaris & undis,
        Jamque aliis adfers, jam tibi lucra refers.
        Amstela, qui nostri fulsisti pondera belli,
        Cum mihi plus uno surgeret hoste labor.

[fol. K2v, p. 76]
        (5) Seu Venetus gravis esse mihi, seu Flandria vellet,
        Et Dominum Brugae detinuere suum.
        Accipe Caesaream, regni diadema, Coronam,
        Accipe virtutis praemia digna tuae.
        Haec fulvos inter radiet spectanda Leones,

        (10) Posteritas isto pergat honore frui.
        Classibus imperitas pelago. tua, nostra Corona est,
        Nostra solo latè fulgida, vestra salo.


Ce qui peut estre traduit en ceste sorte:
        TOy qui trafiques loin sur le terre & sur l’onde,
        Qui enrichis autruy de l’un & l’autre monde,
        Amsterdam qui soustins & portas le fardeau
        Des guerres que plusieurs me livroyent de nouveau;

        (5) Lors que le Venetien m’opposoit ses armées,
        Que Bruges me tenoyt dans ses portes fermées.
        Reçoy dons de ma main ceste Couronne cy,
        Present digne de moy, de ta vertu aussy.
        Qu’elle esclatte au milieu des griffes acerées,

        (10) De deux grands lions roux, durant plusieurs années.
        Ta Couronne est la mienne, & ton heur mon bandeau:
        La mienne luit en Terre, & la tienne sur l’eau.



Du costé meridional de l’Isle fut representé, en cinq Scenes, l’Estat de la France, troublé sous HENRY III, & restauré sous HENRY IV.
En la Premiere Scene la France se voyoit sous la figure d’une femme qui pleure & se lamente, le globe & Empire de laquelle estoit embrasé par le funeste flambeau de l’envie des Princes, combattans à qui l’emporteroit. Bacchus, Ceres, Pomone, Flora, & autres Deitez, ayans la cognoissance d’une si grande [fol. K3r, p. 77] douleur & misere, se condouloyent à la povre France ant affligée. Venus mesme, montée sur son char tiré par des colombes, estoit touchée du sentiment de ceste calamité publique. Hercule, couché par terre aupres de la France, voyant son funeste & lamentable estat, couvoit une grande douleur au profond de son coeur. Ces venerables Divinitez de Paix & de Iustice, gisantes par terre, estoyent exposées au mespris & risée d’un chacun. La face de la France, & de toute l’Europe, estoit representée par un Globe fendu & embrasé, lors que la France estant miserablement deschirée en divers partis, & les Princes de ce Royaume avec ceux de l’Europe bandez les uns contre les autres, le Roy HENRY III fut mechamment assassiné. Alors cest Atlas François comme defaillant, & n’ayant plus les forces de soustenir un si pesant fardeau, laissa la France en doute qui seroit capable de prester l’espaule pour appuyer cest Empire branslant. A quoy prenoit attentivement garde l’Hercule restaurateur de la France ruinée, asçavoir HENRY DE BOURBON Roy de Navarre. Mais l’estat de ce Royaume estant troublé, cependant que la campagne est couverte de soldats & d’armées, c’est fait de la felicité des laboureurs, de Ceres, de Bacchus, de Pomone, & d’autres Deitez qui fleurissent durant la Paix. La Concorde, qui lie & conjoint les affections des peuples, est bannie, & la voix des sainctes loix ne se pouvant faire ouyr parmy le bruit des armes, Astree la derniere des Dieux abandonne la terre.
La Seconde Scene ramena encor la mesme France sur le theatre, priant à genoux les Dieux, de voiloir secourir la France desolée & descirée en tant de par- [fol. K3v, p. 78] tis, relever ses ruines & la fortifier de leur divine assistance en ses foiblesses.* Iupiter eminent entre ses Dieux, d’une main faisoit signe à Hercule, & de l’autre à Mercure, donnant commission à cestuy-cy de procurer que Hercule, c’est à dire HENRY IV, fust employé à la restauration du Royaume de France. Car HENRY III, se mourant & ses forces luy defaillant, en presence des principaux Seigneurs & officiers de la Couronne, avoit resigné son Empire au Roy de Navarre, leur parlant en ceste sorte: C’est à vous de defendre vostre Roy legitime, & s’il vient à defaillir, d’en donner au Royaume un qui luy soit propre. Vous avez le Roy de Navarre, qui est le premier Prince du sang, & constitué en une eminente dignité, lequel si l’ordre d’une legitime succession n’appelloit point à la Couronne, devroit regner apres moy, à cause de l’autorité qu’il a en l’armée. C’est un Prince de tresbon naturel, & qui a une grande experience. N’agueres contre l’advis de plusieurs il a esté reconcilié avec moy, par une inenarrable providence de Dieu, conduisant sagement toutes choses, & semble avoir esté eslevé au pouvoir qu’il a en ceste armée pour appuyer par sa vertu la fortune branslante de ce royaume. Si vous desirez conserver le Royaume, rendez luy l’obeyssance que vous devez. Si la fidelité n’obtient point cela de vous, considerez que vostre propre peril le requiert.
La troisieme Scene introduisoit cest Hercule, conduit par Mercure. Par le commandement des Dieux, Mars & Pallas luy offroyent leur secours pour soustenir le Monde. Cestui-là promettoit de l’assister de ses armes, ceste-cy de son conseil & prudence. Ce qui [fol. K4r, p. 79] se faisoit en la presence de l’auguste assemblée des Dieux qui les regardoyent.
La Quatrieme Scene a veu Hercule occupé à un si grand oeuvre, & remettant au niveau en leur place les Poles qui en avoyent esté arrachez. En quoy il estoit assisté du secours de la Vaillance, & Prudence, comme aussi de la Clemence & Vigilance; qui ont esté les vertus particulieres de HENRY le Grand.
La Cinquieme Scene monstroit la France sauvée & restablie en son entier, & le Monde appuyé fermement sur les espaules de l’Hercule François. Car estant parvenu à la Couronne, & ayant pacifié les querelles & les guerres, par lesquelles le repos de son Estat avoit long temps esté troublé, il mit en oubly toutes les injures qu’il avoit receuës, & usa d’une merveilleuse douceur & clemence à l’endroit de ses plus aspres ennemis. Ce qui luy a acquis une gloire immortelle, un paisible repos à ses voisins, une paix asseurée à ses subjets, & a servi à restablir la Iustice en son siege, & rendre la tranquillité à toute l’Europe. De la gloire & vertus duquel LOUYS XIII estant heretier, & suivant les traces paternelles, se monstre digne successeur d’un si grand & excellent pere & comme un autre Alcide, assisté du secours de Dieu, soustient sur ses espaules, sans bransler ny varier, le mesme Globe, par sa force, conseil, & sage conduite en paix & en guerre.
[fol. K4v, p. 80]

Sur les Spectacles du Monde Françoys, deschiré sous HENRY III, & restabli sous HENRY IV.

        GAllia dum lacerum bellis civilibus Orbem
            Adspicit, & regni vincula rupta sui,
        Commissosque Duces, adversosque ensibus enses,
            Et fossum Regi proditione latus:

        (5) Ingemit excussos tantis cervicibus axes,
            Dimotosque sua de statione polos.
        Sic afflicta Jovem precibus, Divûmque lacessit
            Numina, & ex alio lurida poscit opem.
        Stant juxta Pomona, Ceres, Liberque, Venusque,

            (10) Quasque Deas belli vis malesana premit.
        Condolet atratae Superûm clementia turbae,
            Dumque cupit Gallis consuluisse suis:

        BORBONIUM lapsis Druidum succurrere rebus
            Poscit, & his humeris pondera tanta geri.

        (15) Succurrit Regi Pallas Sapientia, Mavors
            Auxiliatrices commodat ipse manus.
        His Ducibus dum bella gerit, dum mitigat hostes,
            Integra speratâ Gallia pace coït:
        Et valida Mundum fulcit cervice Navarrus,

            (20) Seque polos aptè restituisse videt.
        Tunc regno sua parta quies tunc rura, penateis,
            Templa, foci, vultus exseruere novos.
        Pax rediit, scandit neglectum Astraea cubile,
            Et reduces priscâ sede stetere Dii.

        (25) Hoc Spectacla docent. ubi fracti conditor Orbis,
            Alcidae
HENRICUS nomen onusque gerit.

[fol. L1r, p. 81]

Ce qui a en quelque sorte esté exprimé par les vers suivans.
        LA France appercevant tous les liens brisés,
        Du Monde deschiré par les guerres civiles,
        Ses Princes furieux l’un à l’autre opposés;
        Son Roy assassiné, & en trouble ses villes.

                (5) Gemit de voir ainsi abattus ses aissieux,
        De dessus un tel dos & si fermes espaules;
        Lamente regardant transposés de leurs lieux,
        Les gonds de l’Univers sur qui roulent les Poles.
                Au milieu des douleurs d’un si triste accident,

        (10) Elle offre à Iupiter sa tres-humble requeste;
        Elle invoque les Dieux, & les va suppliant,
        De preserver son chef des coups de la tempeste.
                Elle est environné & paroist au milieu,
        De Ceres, de Bacchus, de Venus, de Pomonne,

        (15) Et les divinités que l’on void en ce lieu,
        Plongées dans le dueil que la guerre leur donne.
                Les Dieux meus à pitié de la rigueur du sort,
        Desirans secourir ceste troupe affligée,
        Envoyent de
BOURBON pour soustenir l’effort,
        (20) De ce fardeau tombant, dont elle est menacée.
                La prudente Pallas l’aide de son conseil,
        Mars luy preste par tout son bras & son espée:
        Combattant sous tels Chefs, d’un courage pareil,
        La France il reunit par la Paix desirée.

                (25) Et le Grand NAVARROIS soustenant vaillamment
        Tout ce vaste Univers sur ses fortes espaules,
        Void qu’il a bien remis le Monde fermement,
        En son premier estat, & l’Empire des Gaules.
                On vid lors le Royaume en repos & heureux:

        (30) Les temples, les maisons font meilleur visage:
        [fol. L1v, p. 82]
        La Iustice & la Paix, comme aussy tous les Dieux,
        Retournent en leurs lieux selon l’ancien usage.
                C’est ce qu’enseignent tous ces Spectacles divers:
        Quand
HENRY de BOURBON plein de force & prudence,
        (35) Restaurateur du Pole & de cet Univers,
        Prend d’Hercule le nom, le faix & la vailance.


    Les rideaux tirez ayans desrobbé ces mysteres aux yeux des regardans, on passa des Spectacles de la Scene aux Exercices & au Combat naval. Nous resgardasmes les premiers avec un front grave; mais ceux-cy d’un visage allegre & riant. Entre les jeux & esbatemens du Cirque Romain, la representation de Combat naval sur la mer, ou sur une riviere, ou en un lac, ne tenoit pas des derniers rangs. Auguste, qui a surpassé tous les autres en la frequence & magnificence de ses Spectacles, representa un combat naval sur le Tibre, Neron sur les eaux qu’il avoit fait venir de la mer voisine, & Domitian en l’Amphitheatre mesme. Cesar, ayant creusé & fait un lac au mont Coelien, y donna le passetemps du combat des galeres de Tyr & d’Egypte. En nostre riviere les combattans estoyent dix des enfans de Neptune, qui sont des gens endurcis aux vents & au mauvais temps, ayans tous des habits de toile blanche, & des bonnets rouges, sur lesquels y avoit des plumes de coq, qui est entre les oiseaux l’animal le plus aspre de tous au combat. Ils se tenoyent tous debout sur la pouppe, & se regardoyent l’un d’un visage refrogné, comme s’il se fust agi d’un royaume. Pour armes ils avoyent des lances sans fer, ou des perches, lequelles ils tenoyent contre leur poincture prestes à choquer [fol. L2r, p. 83] leurs ennemis, les uns & les autres ramans avec une merveilleuse diligence pour ce rencontrer. Cela fut plaisant & trompa l’attente des spectateurs, que nos soldats, au lieu de s’attaquer au combat à la premiere rencontre, come on se promettoit, baisserent leurs armes & s’entresaluerent amiablement. Apres cela on se battit rudement, en forme de duel, ou par fois le hazard estoit esgal des deux costés, les combattans se culbutans l’un l’autre en la riviere: par fois l’un estant renversé, l’autre demeuroit, comme triomphant, sur la pouppe: par fois aussi ils ne s’atteignoyent point, mais gardoyent chacun sa place. Le combat ne finit point que tous n’eussent esté victorieux, & tous vaincus à leur tour, & fait la culbute dans l’eau. Les spectateurs ne se pourvoyent tenir de rire, voyans la luicte de ces matelots. Un grand cry, tesmoin de la faveur qu’on leur portoit, perçoit les rues & montoit jusqu’au ciel. Alors la Reyne Mere mesme, ralaschant un peu de son ordinaire majesté, pouvoit sans pecher contre la bienseance, sousrire à ces plaisans esbats. On dit que Iupiter se prit à rire quand il precipita Vulcan du ciel. Qu’estce donc de merveille, se Sa Majesté, sans penser à sa gravité royale, a regardé d’un visage un peu plus allegre que de coustume le combat de ces jeunes matelots? Nous lisons qu’Achille a entremeslé parmy les armes l’exercice de la harpe, de laquelle il joüoit pour recreer son esprit fatigué des soucis de la guerre, ou offencé de quelque injure. Ces Grecs mesmes, & Romains, domteurs de l’Univers, foudres de la guerre, la terreur & la tempeste de la mer, se rouvans es theatres & spectacles environnez d’une multitude de peuple, ne se son point souvenus qu’ils [fol. L2v, p. 84] estoyent Empereurs. Par fois ces excellens personnages, capables de si grands conseils, s’abbaissent à des petites choses & recreatives, pour assaisonner de quelque allegresse le chagrin qu’apportent les affaires. Ie confesse que cecy n’estoit que jeu, non pas un serieux combat. Car la cruauté des Romains ne peut estre approuvée, qui prenoyent plaisir à voir leurs esclaves s’entretuer & massacrer les uns les autres.
L’Amstel s’estoit acquitté de sa charge, lors que le jour declinant vers le soir, on s’en alla, avec une merveilleuse promptitude de rames, dans la riviere d’Y, une infinité de barques suivans celle de Sa Majesté: lesquelles voulans passer sous les arches des ponts tout à la fois, par leur trop grande precipitation se boucherent le chemin les unes aux autres; & mirent presque en peril les moindres fustes & plus legeres, qui, empressées de costé & d’autre, furent rudement choquées. La barque de la Reyne, faisant plus de diligence, avec quelques autres, laissa derriere foy la flotte des plus tardifves, & se rendit dans l’Y par l’escluse de S. Antoine. L’Y en tirant du Couchant au Levant par un grand & spatieus canal, à cause que le rivage de golfe Meridional est tout rongé par la longue espace de temps, ayant pressé le costé Septentrional de la Ville, fournit un havre commode aux Navires. Tout ce costé, muni de double rangée de pieux, à l’encontre de la violence des vagues, sert de ferme rampart à la Ville, les pieux se touchans les uns les autres, comme si c’estoit une muraille. En cest endroit la Reyne vid un lieu enfermé entre le rivage & ce clos de pieux, lequel on appelle le Wael, où les [fol. L3r, p. 85] Navires eschappées des tempestes de la mer, passent l’hyver, & demeurent en seureté jusqu’au Printemps. De l’autre costé il y a une grande place, où se font des Navires de charge pour la Compagnie des Indes Orientales, & où l’on raccoustre celles qui sont rompues. La Reyne y jettant les yeux en passant, apperceut une Navire nouvellement mise dans l’eau, telle que sont celles où d’ordinaire on apporte les riches moissons & revenus de l’Orient. C’est la coustume de donner des noms aux Navires pour les descerner, comme le pratiquoyent aussi les anciens. Sa Majesté estant priée par les Bourgmaistres de donner un nom à ceste Navire, qui se preparoit pour faire voile en un pays lointain, luy inposa celuy de MARIE DE MEDICIS, priant Dieu qu’il luy donnast un heureux voyage. Pourtant ceste Navire peut maintenant dire:

        Sum MARIA, & MEDICESdatur appellatio, quae si
                Non sunt servantis verba, saventis erunt.


C’est à dire.
        MARIE c’est mon nom, MEDICIS je m’appelle:
        Noms tesmoins suffisans de la faveur nouvelle
                D’une Mere de Roys.


    Que les autres Navires se glorifient des enseignes de Neptune, de Triton,des Sirenes; les autres des noms de Villes dont elles sont premierement parties; que les autres portent depeints en leurs pouppes des Lions, des Tigres, des Chiens de chasse, des Dragons, ou bien les images du Soleil ou de la Lune, les autres facent parade de la magnifique inscription de [fol. L3v, p. 86] leurs provinces; les autres empruntent leurs noms des Princes de ce pays. Ceste cy la premiere & l’unique sous le nom de MEDICIS, comme sous son propre Astre, à la garde de Dieu fera voile es provinces, où la cupidité du gain & de la gloire, qui possede les coeurs des mortels, ne pouvant passer plus outre, est bornée de mesmes limites que le cours du Soleil. Puis apres se presenta aux yeux de la Reyne, poursuivant en sa navigation, la Ville estendue en une tres-grande largeur, où ça & là sur la rive du fleuve paroissent des hautes tours, & entredeux des belles rangées de maisons, preque sans interruption. Icy Elle vid des flottes de Navires se reposans à l’ancre, qui occupoyent une longue espace, & ressembloyent à une tres-espaisse forest. Ce sont celles là qui servent à nos avides marchands, qui fuyent la povreté par la mer, par les rochers, & par les feux, pour courir jusques aux extremitez du monde, voire au de là des Tropiques & du cours annuel du Soleil. Les Navires de guerre estoyent pesle-mesle avec les paisibles marchandes, les armées avec celles de charge, les couvertes avec les descouvertes, les Admirales & Capitainesses avec celles qui servent à faire le guet. Il y avoit aussi une grande flotte à la voile, de ces barques de plaisir, qui deux jours auparavant avoyent attendu la Reyne, enrichies de belles banderolles, lesquelles occupoyent une bonne partie de l’Y. Quant aux grands Navires, les uns sont destinez aux voyages d’Italie, de Cypre, d’Egypte, de Syrie, de Grece, de Venise, les autres trafiquent en France, Angleterre, Escosse, Irlande, Allemagne, Dannemarc, Norwege, Suede, Poloigne, Prusse, Moscovie, & Groenland; les [fol. L4r, p. 87] autres entreprennent des longues courses en la Guinée, Perse, Arabie, Indes deça & delà le Gange, es Isles Orientales, & en la Chine & au Iapon, qui sont aux extremitez d’Asie; les autres navigent en la partie opposée du monde, sçavoir est au Bresil, en la Nouvelle Belgique, en la Nouvelle Espaigne, & traversent les destroits de Magellan & du Maire, ainsi appellés du nom de ceux qui les ont premierement descouverts, pour busquer fortune, ou sous les enseignes de Mars, ou sous celles de Mercure. Les uns servent à apporter des toiles, du sel, des vins, blancs & clairets, des huiles, du papier, des laines, du plomb, de l’estain, de la biere: les autres, du miel, de la cire, du froment, du salpetre, du verre, des vins de Rhein, des peaux & fourrures, & des bois à bastir, ou pour faire de la menuiserie: les autres de draps, de la soye, des perles, & de la Malvoisie, du soulphre, de la rheubarbe, de la mommie, de la casse, de la tutie, du cotton, du ris, de la poix resine, de la poix noire, du godran, des ceindres à faire la lexive, de la terre de foulon: finalement toutes sortes de drogues & espiceries, poivre, giroffle, canelle, encens, myrrhe, bausme, &c. La Reyne considera non sans estonnement ces grands ventres creux, dans lesquels on apporte & emporte de ceste Ville les richesses de l’Univers. Elle vid des chasteaux à voiles nageants sur les eaux, garnis de plusieurs rangées de Canons, avec lesquels nous allons contre les Espagnols, Portugais, Dunkerquois, & Mores, & leurs faisons une rude guerre. Cependant que sa Majesté se pourmene sur cest element liquide, on descharge l’artillerie de tous les endroits de la Ville: Elle ne trouva rien de plus rare, ny [fol. L4v, p. 88] de plus admirable que ce Spectacle des Navires, qui est particulier à ceux d’ Amsterdam. Car ces grandes flottes sont les murailles de bois, avec lesquelles le prudent Themistocle entendit autresfois, que l’oracle d’Apollon vouloit que la Grece fust defendue. Un Consul Romain en son harangue pour Flaccus, en recommande le soin aux Republiques, non seulement pour la defense & le trafic, mais aussi pour l’ornement de leur Empire. Thucydide dit que c’est à faire à des grands Princes, de pourvoir qu’il n’y ait aucun peuple qui les surpasse en multitude de Navires. Sinon, qu’ils recerchent l’amitié & alliance de celuy qui est le plus fort sur mer, pource que l’empire de la mer est de tresgrande importance, la guerre terrestre estant plus facile à ceux qui sont exercez en la maritime & navale. Sa Majesté s’estant assez pourmenée sur l’Y, du costé qu’il arrouse la Ville, suivie de la flotte des barques de plaisir, en fin Elle r’entre dedans, prenant son chemin par les Salines, & puis par le Canal du Prince, & ainsi sur le soir se rend en son Palais, estant tousjours accompagnée de quatre Bourgmaistres.
Cependant que le Senat, les Bourgmaistres et bourgeois font telles solennitez à la Reyne, les poëtes ne se taisent pas, ains celebrent à l’envy les louanges de ceste grande Mere de Rois en vers Latins, Italiens, François, & Flamens; dont les uns plus tost, les autres plus tard ont esté mis en lumiere, & semez par toute la Ville, remplissans les boutiques des libraires, & les avides mains des lecteurs. Les Iuifs mesmes pour rendre une preuve de leur affection envers la Reyne, luy presenterent des mets apprestez à la mode de leur nation, avec du pain sans levain. Quand sa Majesté [fol. M1r, p. 89] prenoit ses repas, tant de gens y accouroyent, que par fois il sembloit que toute la ville entroit en son Palais, & que derechef toute la ville en sortoit; luy tesmoignant autant d’affection que si c’eust esté la propre Dame & Princesse du pays. Il ne faut point icy passer sous silence, qu’en tout cest appareil des Arcs triomphaux, Spectacles, Representations, & structure de l’Isle flottante avec une promptitude digne d’admiration, le Sieur Samuel Coster, Docteur en Medicine tres-experimenté, fit paroistre sa grande industrie, esprit & diligence; comme aussi le Sieur Iean Victorin Advocat, qui de son costé s’employa à dresser ces pompes & spectacles avec un soin, allegresse, & invention singuliere.
Le Samedy on se reposa de ceste plaisante agitation, & tempeste des trois jours precedens, & le peuple se tinst coy. Apres midi, la Reyne s’estant desfait de ses gens & les ayant envoyez qui çà qui là, print un autre carrosse moindre que le sien ordinaire, & y monta sans bruit, puis s’alla pourmener par les rues de la Ville, entra en plusieurs boutiques, marchanda des porcelaines & autres marchandises, rabbatit du prix qu’on luy demandoit & adjousta à ses offres, comme on a de coustume de faire en achetant, respondit familierement aux demandes des marchands, sans s’offenser des paroles qui pouvoyent estre moins dignes de sa grandeur. En quoy faisant Elle sembloit plustost estre une marchande qu’une Reyne. De mesme que Pallas en Homere estant arrivée en Ithaque, dissimula qu’elle estoit Deesse & print l’habit d’un marchand. Ceste tresage Reyne avoit sans doute appris de l’Empereur Adrian, [fol. M1v, p. 90] que les Princes ne doivent pas retenir par tout leur Majesté, & qu’il ne faut point envier ce contentement aux Roys, de se pouvoir abbaisser quand il leur plaist, pour deviser humainement avec des personnes de la plus basse condition. Sur quoy on rapporte que Plotine femme de l’Empereur Trajan, entrant dans le Capitole, se tourna vers la multitude & dit: Telle que j’entre icy, j’en desire aussi sortir: signifiant par ces paroles qu’elle vouloit converser familierement & sans fast avec un chacun, non moins en la maison de l’Empereur, que hors d’icelle & devant qu’y estre entrée. [La Reyne promet son pourtraict au Bourgmaistres.] De ceste mesme humanité est procedée la promesse qu’Elle a faite à Messieurs les Bourgmaistres d’Amsterdam, de se laisser retirer, ce qu’Elle permet tresrarement, & leur donner son pourtraict; pour cest effect se faisant peindre à la Haye par le tres-excellent peintre Honthorst, & leur laissant ce present en memoire eternelle du bon accueil qu’ils luy ont fait. On a resolu de le placer en l’Hostel de Ville, à costé du pourtraict de l’Empereur Charles V, son grand oncle, avec ceste inscription:

        Sic ivit nostram grandis MEDICEA per Urbem,
                Sceptrorum Mater suspicienda trium.

C’est à dire:
        C’est ainsi qu’on a veu marcher par nostre ville
        La grand de
MEDICIS, Mere d’une famille
                De trois Roys trespuissants.


    Sa Majesté estant retournée au Palais du Prince, les XVII personnages qui ont la supreme admini- [fol. M2r, p. 91] stration & maniement des affaires de la Compagnie des Indes Orientales, vindrent la trouver & recommander à sa Royale faveur & protection, par le Sieur Theodore Tholing, alors President, & autres Deputés dudit Conseil des Indes, le trafic & negoce que la dite Compagnie exerce en plusieurs Provinces & Royaumes de l’Orient. Et luy firent un present des choses plus rares & exquises de leur maison, comme de vaisselles de porcelaine, des plus magnifiques coffres du Iapon, enrichis & bigarrez d’une tresagreable façon, de laque, d’or & de nacre de perle.
    Les Princes, & ceux qui à cause de l’eminence de leur Majesté ont le droict d’absoudre les criminels, ont accoustumé à leur arrivée en quelque lieu, quand ils en sont priez, de desployer leur clemence. La Reyne Mere en a fait de mesme, obtenant grace de la Iustice d’Amsterdam, à un prisonnier, qui estoit en danger de sa vie, pour avoir tué quelcun d’un coup de pierre.
    Le Dimanche estant venu, auquel la Reyne avoit resolu de s’en aller. Elle se prepare à son voyage. Les Bourgmaistres sçachans cela, luy voulurent rendre les mesmes honneurs à son depart qu’ils avoyent fait à son entrée. Par leur ordonnance la troupe de Cavalerie, armée & vestue avec la mesme pompe qu’il a esté representé cy dessus, se tint preste & vint vis à vis de son Palais, pour la conduire. Et d’entre les compagnies de bourgeois cinq cens harquebusiers furent choisis, qui s’en allerent l’attendre en belle ordonnance sur le Dam, & l’accompagnerent jusque à la porte de Harlem, par où Elle devoit pas- [fol. M2v, p. 92] ser. [Les Bourgmaistres disent Adieu à la Reyne par la bouche du Pensionaire Boreel.] Mais devant que la Reyne sortist du Palais du Prince, les Bourgmaistres la vindrent trouver pour prendre congé d’Elle. Le Sieur Guillaume Boreel Pensionaire porta derechef la parole, & luy dit:

        SERENISSIME REYNE,

    [Le depart de la Reyne.]“Puis qu’il plaist à Vostre Majesté de rompre son sejour, & se separer de ceste Ville, Messieurs les Bourgmaistres & Regens icy presens la supplient tres-humblement, qu’il luy plaise d’avoir pour agreables les demonstrations d’honneur & de bienveuillance, que l’occasion presente & briefveté du temps ont peu permettre luy estre faites, comme estans procedées de leurs plus sinceres affections envers V. M. Laquelle aussi a veu, comment tout ce peuple s’est resjouy de sa Royale presence; & s’en resjouyt encor de telle sorte, qu’il ne se peut assouvir de la regarder. Ceste maison que V. M. void, a esté de tout temps le lieu ou nos bons Princes ses Ayeuls, ont fait leur residence, estans en ceste Ville. Nous nous les representons encore en l’aspect & contemplation de vostre face Royale. Entr’autres l’Empereur MARIE DE MAXIMILIAN, bisayeul de V. M. lequel nous a voulu particulierement honorer, embellissant les Armoiries de ceste Ville d’une Couronne Imperiale pour timbre, il y a cent cinquante ans. Permettez, MADAME, que nous recognoissions encore aujourd’huy ce Royal benefice en la personne de V. M. laquelle comme Elle a daigné nous venir voir, & se resjouyr de la presente prosperité & accroissement de ceste Ville, aussi trouvera bon s’il [fol. M3r, p. 93] luy plaist, qu’en l’aspect de la dite Couronne Imperiale, comme d’un autre Iris ou Arc en ciel, nous nous puissions asseurer, qu’à jamais V. M. continuera ses Royales faveurs envers ceste bonne Ville, ses affaires, & son commerce: qui est ce dont nous la requerons tres-instamment. Ainsi ceste Ville demeurera pour tousjours tres-estroittement obligée à Vostre Majesté, comme aussi Messieurs les Bourgmaistres & Regens, qui la supplient qu’il luy plaise les advouër à jamais pour ses tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs.”
    Le Pensionaire ayant achevé sa harangue, la Reyne espondit d’un visage gay & allegre; Qu’elle avoit autres-fois ouy dire beaucoup de choses de la beauté & magnificence de ceste Ville, mais que maintenant Elle recognoissoit que sa renommé estoit beaucoup au dessous de la verité: qu’Elle souhaittoit tout bonheur & prosperité à la Ville & aux habitans: qu’Elle avoit tousjours porté une singuliere affection à ceste Republique & aux Seigneurs d’icelle, qu’elle continueroit encor à l’advenir, & que, les occasions s’en presentans, Elle ne manqueroit point de procurer le bien & profit de la Ville: qu’Elle embrassoit d’un reciproque amour & bienveuillance, l’affection & bonne volonté que les Bourgmaistres luy avoyent demonstrée, & autres telles choses qu’Elle dit prudemment & gravement à ce propos. selon son eloquence accoustumée.
    [Et aussi à la Princesse d’Orange.] Les Bourgmaistres partis de là, s’en allerent dire Adieu à la tres-illustre Princesse d’Orange, & avec la reverence & submission deuë, luy firent offre de leurs tres-humbles services, tant en leur nom particulier, [fol. M3v, p. 94] que de toute la bourgeoisie & habitans. Cependant les rues, carrefours & places publiques resonnoyent du bruit du peuple y accourant de toutes parts. L’ardent desir que tous avoyent eu de voir entrer la Reyne, ne s’estoit pas encor refroidi quand Elle partit. Mais Elle de peur de troubler la devotion publique, par des nouveaux mouvemens & plus long sejour, monta en carrosse sur les neuf heures & s’en alla. Comme Elle passoit devant l’Hostel de Ville, les Bourgmaistres luy dirent derechef Adieu. Et la Reyne ayant dit d’un visage gay que la bienveuillance des Bourgmaistres envers Elle, dont Elle avoit eu tant de preuves, luy estoit tres-agreable, passant par la Neufve digue, sortit de la Ville par le mesme chemin qu’elle y estoit entrée, & estant accompagnée de la troupe de cavalerie prit son chemin le long de la mer. Comme Elle fut environ à une lieuë de la Ville, le Sieur de Petthem conducteur de ceste bande, luy dit le dernier Adieu en ces mots:

    MADAME,


    “Nous voicy presque aux limites de la Iurisdiction d’ Amsterdam. Nous remercions Vostre Majesté de tout l’honneur qu’Elle a daigné faire à ceste Ville, & à nous qui luy sommes allez au devant à son arrivée, & la reconduisons maintenant en son retour. C’est l’ordre que nous avons receu de Messieurs les Bourgmaistres & Regens de la Ville, d’accompagner aussi loin V. M. qu’Elle nous commandera. Ce que nous ferons allegrement, & de toute nostre affection; la supplians de vouloir disposer de nous, comme [fol. M4r, p. 95] de ses tres-humbles & tres-obeyssans serviteurs.”
    La Reyne respondit qu’Elle remercioit Messieurs les Bourgmaistres de tant de tesmoignages de bienveuillance, & la troupe de cavaliers de la bonne compagnie qu’elle luy avoit tenu: qu’il estoit temps de sonner la retraitte, & qu’elle s’en retournast en la Ville. Sur cela le Sieur de Petthem prenant congé de la Reyne, & luy souhaittant un voyage heureux & treslongue vie, s’en revint à la Ville avec toute ceste belle cavalerie. Elle usant de diligence, passa Harlem, & sur le soir se rendit à Leyde; où Elle fut receuë par le Senat, Bourgmaistres, & bourgeois, avec les honneurs deus à sa grandeur; & n’y ayant demeuré qu’une nuict, arriva le lendemain en bonne santé à la Haye. Cela est memorable & digne de remarque, que le mesme jour que Sa Majesté partit d’ Amsterdam, le Roy de France LOUYS XIII, acquit le tres-desiré nom de Pere, la Reyne son espouse celuy de Mere, & Elle celuy de Grand Mere, par la naissance d’un Dauphin que Dieu a donné* à la France. A la mesme heure qu’Elle sortoit de ceste grande Ville, vint au monde un tres-Auguste enfant, heritier de ce beau royaume. Le temps qui nous osta la Reyne, donna aux François son petit Fils, apres une attente presque hors d’espoir, de vingt ans & d’avantage. Heureuse sortie, avec laquelle comme par la conspiration des destins, s’est rencontré l’entrée au monde d’un enfant tant desiré. Ce grand & nouveau hoste du Monde, & qui un jour, si Dieu le permet, gouvernera par l’equité de ses loix, la Monarchie Françoise, a salué le monde, au temps que ceste tres-illustre hostesse d’Amsterdam & la plus digne Fem- [fol. M4v, p. 96] me qui soit jamais entrée dans ses portes, a dit Adieu à une Ville qui est comme la boutique & le magasin de tout le monde. Pour finir par les voeus: Ie prie le Souverain, que par sa divine Clemence il conserve, protege & defende la Reyne Mere, maintenant devenue Grand Mere; le Roy LOUYS son fils, à ceste heure Pere; la Reyne regnante, aussi Mere; & Monsieur le Daulphin, nay pour le bien & resjoyssance commune de la France & de toute l’Europe; à ce qu’ils facent des choses dignes d’estre à tousjours loüées par leurs subjets & Alliez, & que ceux-cy ne cessent jamais de les louër & magnifier. Par ce moyen il arrivera, que les playes du corps de l’Europe & de la Chrestienté, miserablement deschiré par tant de sanglantes guerres, se rejoindront quelque jour, sous l’heureuse conduite de ces mesmes Rois & Princes; & que la paix estant restablie, on verra encor ce corps florir, s’accroistre & fortifier. Grand DIEU Eternel, ottroye ce benefice, à nostre chere Patrie, aux Rois, aux Peuples, & à ton Eglise.

Sur la naissance du Daulphin de la France, arrivée
au mesme jour & heure, que sa Grand Mere
MARIE DE MEDICIS est partie
d’Amsterdam.

        QUalia in aethereo succedunt sidera Olympo,
            Alteraque exurgunt, altera lapsa cadunt:
        Perque vices radians stellis variantibus aether,
            Nunc hoc, nunc illo mutat in orbe faces:

        (5) Talis ab Amsteliis dum se Fax Itala terris
            Subtrahit, atque suum flectit ab Urbe jubar:

[fol. M5r, p. 97]
        Ecce procul Druidum in terris Phoebeïa surgunt
            Lumina, & haeredem dissita regna vident.
        Una eademque dies Regalem lampada vidit

            (10) Nascier, una aliam vidit abire dies.
        Amstela sic abitu doluit, sed Francia partu
            Totaque Delphino Gallia laeta fuit.
        Vive nepos MARIAE, & quae jam tibi
Lilia crescunt,
            Prospera sint Gallis, prospera sint Batavis.


Ce qui a esté rendu en Françoys par les vers suivans:
        DE mesme que l’on void les celestes flambeaux,
        Dans ce pourpris d’azur, si brillans & si beaux,
        Les uns sur l’Horizon, d’autres plongés sous l’onde,
        Tantost reluire icy, tantost en l’autre monde:

        (5) Ainsi tandis qu’on void se retirer d’icy
        Le Flambeau d’Italie, & laisser l’eau de l’Y,
        On apperceut bien loin sur des bords de la Seine,
        Un Soleil se lever, qui les coeurs rassereine.
        Un mesme jour a veu un Astre se lever

        (10) La mesme a aussy veu un autre se coucher.
        Ainsi couvrit ses bords tout l’Amstel de tristesse,
        Lors qu’il vit le depart de ceste grand’ Princesse:
        Mais la France admirant son Dauphin glorieux,
        Pour tesmoigner sa joye, alluma tous ses feux.

        (15) Vivez, vivez long temps petit fils de MARIE,
        Vivez, vivez content le cours de vostre vie.
        Que vos
Lys fleurissans soyent heureux aux François,
        Que vos
Lys soyent un jour heureux aux Hollandois.

FIN.


[fol. M5v-M6v, p. 98-100: blanco]
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Tekstkritiek:

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